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liques[1]. » Ces remarquables paroles, insérées dans la Revue à titre de document, et qui valent mieux en effet que les plus savantes études pour faire comprendre le mysticisme politique et religieux de la Russie au XIXe siècle, sont datées de 1849. Je ne veux pas exagérer le rôle de M. Tischendorf ; peut-on cependant ne pas se rappeler une telle scène, lorsqu’on voit le gouvernement russe mettre la main en quelque sorte sur le défenseur du texte hellénique des Évangiles et accorder à ses travaux une protection solennelle ? Ce paléographe que les théologiens protestans de Londres, d’Oxford, de Paris, avaient salué ! Comme un sauveur, ce protestant que le page avait accueilli comme un auxiliaire, le voilà patronné par l’empereur orthodoxe, et un prince plein d’ardeur, le frère même d’Alexandre II, veut que son nom soit attaché à ses missions de Jérusalem !


II

Les négociations avaient été promptement terminées, malgré certains fanatiques de la cour qui s’alarmaient de voir un protestant mêlé aux intérêts religieux de la Russie. Les préparatifs du voyage exigèrent quelques délais. Le grand-duc Constantin et la grande-duchesse, sa femme tenaient à se trouver en Palestine en compagnie de l’illustre savant[2]. Tout fut combiné pour cette rencontre, M. Tischendorf partit seul de Trieste le 11 janvier) 1859. Sa première étape, c’est l’Égypte. Un navire autrichien de la compagnie du Lloyd, le Calcutta, le conduit d’abord dans cette mouvante Alexandrie, renouvelée à l’européenne par Méhémet-Ali ; mais ce ne sont pas les progrès d’Alexandrie qui arrêtent l’attention du voyageur. Quinze années auparavant, il n’avait vu d’autres véhicules dans les rues de la ville que les chameaux et les ânes que d’équipages aujourd’hui calèches et droschkas, traînés par des chevaux fringans que conduisent des cochers noirs ou bruns ! Quinze ans plus tôt, il était allé d’Alexandrie au Caire sur une modeste embarcations du Nil, et malgré le vent le plus favorable le voyage n’avait pas duré moins de quatre jours. En 1853, le bateau à vapeur avait mis près de trente heures ; en 1859, grâce au chemin de fer, cinq ou six heures suffisaient Dans une ville ainsi transformée, il y

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1850 : la Papauté et la Question romaine au point de vue de Saint-Pétersbourg.
  2. Le grand-duc Constantin, frère d’Alexandre II, le second des fils et le quatrième des enfans de l’empereur Nicolas, n’avait alors que trente et un ans ; né en septembre 1827 il avait épousé au mois d’août 1848 la princesse Alexandra, fille du duc de Saxe-Altenbourg.