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avait encore naguère si chaleureusement défendu, le plénipotentiaire russe déclarait subitement que l’empereur, son auguste maître, « désirant faciliter autant qu’il dépendait de lui les arrangemens à conclure, » avait cédé ses droits éventuels, comme chef de la maison de Gottorp, à son parent… le grand-duc d’Oldenbourg ! Voilà comment répondit M. de Bismark à l’assurance du naïf duc d’Augustenbourg ! Il lui montrait qu’il y avait encore un autre prétendant que lui, le grand-duc d’Oldenbourg, un cousin de l’empereur de Russie. Bientôt il devait même s’en présenter un nouveau, également cousin de l’empereur Alexandre II, le prince Frédéric de Hesse[1] ! Avec le souverain légitime, avec le roi Christian IX, cela faisait donc quatre successeurs dans la « question de succession, » sans compter les futurs « copossesseurs » l’empereur François-Joseph et le roi Guillaume Ier !… Du reste, et aux yeux de lord Russell notamment, la communication de M. de Brunnow ne formait qu’un incident de la séance du 2 juin, où il ne fut plus parlé du tout du « prince héréditaire » le duc d’Augustenbourg, et très peu même de la proposition anglaise du partage. Dans cette séance, comme dans la suivante (9 juin), on s’occupa presque exclusivement de l’affaire de l’armistice. La suspension d’armes, convenue un mois auparavant, allait expirer dans quelques jours : il fallut donc aviser pour assurer encore un peu de temps aux délibérations sur une paix « durable. » Les Allemands voulaient bien prolonger l’armistice, le prolonger même autant que possible, pour deux ou trois mois par exemple, en réalité, ils voulaient s’assurer contre toute opération maritime jusqu’à l’automne, saison ou la Baltique devait se fermer. Le Danemark ne voulut accorder que quinze jours de trêve, et il finit par l’emporter.

La situation devenait de plus en plus critique : on n’avait plus que quelques jours à soi, et les Allemands rejetaient la proposition anglaise. Ils ne voulaient rien entendre de la clause qui interdisait la construction ou l’entretien des forteresses militaires ou maritimes dans les territoires qu’on allait concéder, et, quant à la ligne de démarcation, ils la reculaient jusqu’à Aspern-Tondern, et ne laissaient au Danemark qu’une lisière du Slesvig ! Dans cette crise, la flotte du canal fit de nouveau un mouvement vers Spithead, dans la direction de la Baltique, et le comte Russell vint derechef proposer à la France une « démonstration maritime, » une simple démonstration qui intimiderait peut-être l’Allemagne sans effaroucher la reine Victoria, et qui, dans tous les cas, ne manquerait pas de produire son grand « effet moral ! .. « L’idée fut assurément étrange

  1. Voyez la déclaration adressée par le prince Frédéric-Guillaume de Hesse au comte Russell, président de la conférence de Londres, du 17 juin 1864.