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à chacune tout bas que l’autre, la rivale, avait la tête quelque peu montée (è pazza !). En réalité, on n’était préoccupé que de la sémillante petite Zerlina, de cette « troisième Allemagne » pudibonde, mais évidemment flattée des attentions d’un si grand seigneur ! On la courtisait avec un air de protection, on lui chantait des duos sotto voce, et on ne désespérait pas de pouvoir encore à un moment donné, au moment de la danse, l’emmener à l’écart, à la barbe du gros Mazetto, le Gros-Jean tudesque… Il serait malaisé de nier que la politique française n’ait contracté à ce jeu une apparence bien fâcheuse. Elle avait des félicitations pour les vaincus comme pour les vainqueurs des bords de l’Eider ; elle faisait des vœux pour l’intégrité du Danemark et des propositions qui ne pouvaient qu’amener le démembrement de cette monarchie ; elle se disait toujours prête à seconder le cabinet anglais dans ses efforts pour la cessation des hostilités, tout en déclarant qu’elle ne croyait pas à la paix, et en faisant même assez voir qu’elle ne la désirait guère. Rendant compte un jour (le 14 février) d’un entretien avec M. Drouyn de Lhuys au sujet de l’armistice que proposait alors l’Angleterre, lord Cowley rapporte au comte Russell les paroles du ministre français, « que le concours du gouvernement impérial à toute mesure qui tendrait à arrêter l’effusion du sang était assuré d’avance ; » mais l’ambassadeur a soin d’ajouter : « La valeur d’une pareille déclaration dépend tellement de la foi dans son efficacité, que je crus de mon devoir de demander à M. Drouyn de Lhuys, dans le cours de la conversation, s’il croyait que notre proposition serait acceptée. Son excellence répondit que dans l’état présent de l’excitation il n’avait pas l’espoir de la voir réussir… » Le passage est significatif à coup sûr, mais que dire de cet autre passage encore qu’on trouve dans une dépêche de l’ambassadeur danois près la cour de Saint-James ? « Le cabinet anglais, y lit-on en toutes lettres, n’est pas tout à fait convaincu que la France n’a pas une entente secrète avec la Prusse relativement à nos affaires[1]… » Ainsi lord John Russell, qui s’obstina jusqu’au bout à croire au « concours cordial » que lui prêtait la Russie, ne fut pas éloigné par momens, et encore au milieu de juillet 186â, de supposer une connivence entre le cabinet des Tuileries et M. de Bismark !

Certes la supposition fut toute gratuite, elle fut seulement une preuve curieuse, ajoutée à tant d’autres, de l’anarchie morale qui régnait alors dans les conseils de l’Europe : on se croirait parfois transporté au beau siècle de Louis le More à voir les profondes noir-

  1. Dépêche de M. Torben-Bille à M. Bluhme du 15 juillet 1864 (papiers d’état communiqués au rigsraad.)