Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvé des mercenaires à enrôler, des armées à solder et de vastes coalitions à former au moment du péril. Ajoutez encore les affinités de race et de religion entre la nation anglo-saxonne et les peuples de la Germanie, puis cette autre circonstance, qui n’est point certes à dédaigner, que c’est en Allemagne que prend son origine et se renouvelle sans cesse la maison régnante du royaume-uni. Aujourd’hui même on parle allemand dans l’intimité du château de Windsor, et ce n’est un secret pour personne non plus qu’en février 1864 sa gracieuse majesté la reine Victoria se soit dite plutôt prête à l’abdication qu’à une rupture avec la Prusse. Les Allemands savaient tout cela très bien, et dans cette certitude ils puisaient leur audace. Ils se rappelaient l’indulgence extrême, la patience vraiment angélique dont fit preuve à leur égard lord Palmerston dans cette question des duchés en 1848 même, à l’époque où la France bouleversée dans son intérieur n’inspirait guère d’inquiétude au dehors : ils comptaient, en l’année 1864, sur l’humeur d’autant plus conciliante du civis romanus que maintenant, lorsque celui-ci jetait ses regards au-delà du canal, il voyait un Napoléon à la tête de la nation welche, toujours redoutée et devenue plus belliqueuse que jamais. « J’apprends, écrivait le 2 janvier 1864 sir A. Malet de Francfort au principal secrétaire d’état, j’apprends qu’un des membres les plus importans de la diète, et qui exerce une influence prépondérante sur la question (M. de Pfordten évidemment), ne cesse de prétendre qu’il n’y avait aucune complication sérieuse à craindre, et qu’une opposition efficace de la part de l’Angleterre aux aspirations et aux vœux de la Germanie n’était point une chose admissible… » L’ambassadeur de Prusse à Londres, le comte Bernstorff, s’exprimait de même en face de lord Russell, et en effet une guerre entre l’Angleterre et l’Allemagne, une guerre sérieuse, véritable, et de concert avec un Napoléon, c’est là une extravagance que ne saurait rêver le plus échevelé même des enfans d’Albion, le membre le plus folâtre de l’excentric-club.

Sans doute, à la première nouvelle du passage de l’Eider, le sentiment intime de l’Angleterre reçut une forte commotion. On fut irrité au plus haut point de l’insolence et de la perfidie prussiennes ; dans les cercles du West-End, on parla avec indignation de M. de Bismark, avec dégoût du prétendant Frédéric, le « Disgustenbourg, » ainsi qu’on se plaisait à l’appeler alors. Dans la chambre des lords surtout, où ne domine pas encore absolument l’esprit de l’école de Manchester, dans cette aristocratique assemblée qui n’a pas tout à fait oublié l’ancienne fierté des Chatham et des Canning, la douleur fut vive et éloquente. À ce moment, comme plus tard, à chaque nouveau pas que faisait l’Allemagne dans