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protéger « même par les armes, » le cabinet de Saint-Pétersbourg voulut bien (10 février) écrire ostensiblement une note assez ferme à l’adresse de Berlin, pour insister sur « les intérêts de la Russie dans la Baltique » et son « devoir » d’empêcher tout démembrement des états de Christian IX. Communication « amicale » fut faite de ce document à Paris et à Londres ; mais en même temps et dans une lettre confidentielle à son chargé d’affaires à Berlin, M. d’Oubril, le vice-chancelier russe exprimait l’espoir que M. de Bismark « saurait apprécier et approuver » les motifs qui avaient dicté un pareil langage officiel, « Nous avons cru de l’intérêt de la Prusse et de l’Autriche de paralyser l’action de l’Angleterre et de prévenir, au moins momentanément, son intervention armée, qui était tout à fait probable. C’est dans cette intention que nous avons adressé la dépêche ci-jointe après l’avoir communiquée à lord Napier. » Le vice-chancelier voulait paralyser encore autre chose par sa dépêche ostensible du 10 février, qui contenait aussi le passage significatif suivant : « Le démembrement du Danemark pourrait amener la formation d’un grand état Scandinave, c’est-à-dire l’accomplissement de l’union Scandinave ; mais nos intérêts sont formellement contraires à une telle combinaison, et je dois vous déclarer que nous nous y opposerions de toutes nos forces… » L’avis allait directement à la Suède, indirectement aussi à la France et à certaines « solutions » qui commençaient alors à avoir de la vogue dans diverses régions de Paris.

C’est par un tel enchaînement de circonstances fatales que le Danemark se trouva sans défenseurs en ce mois de février 1864, et la plus grande de toutes ces fatalités, ce fut sans contredit le profond désaccord des deux puissances libérales de l’Occident. On se trompe généralement, il est vrai, lorsqu’on croit qu’à ce moment encore la France et l’Angleterre n’auraient eu qu’à faire cesser leur dissentiment pour faire cesser aussi, et d’un coup, l’agression allemande. À ce moment, la situation était déjà trop compliquée pour se dénouer à si bon marché ; ce qui aurait pleinement suffi en septembre 1863 fût resté sans effet dans l’hiver de 1864, et pour arracher à la Germanie la proie tant convoitée il aurait fallu maintenant quelque chose de plus qu’une note identique des deux cabinets de Paris et de Londres, quelque chose de plus même qu’une simple « démonstration maritime » que devait bientôt proposer lord John Russell. Il n’est pas douteux toutefois qu’une action énergique de la France et de l’Angleterre, fortement unies dans un sentiment de solidarité et de confiance mutuelles, aurait fini par triompher des desseins de M. de Bismark et donner satisfaction au droit outragé. Et à cet égard la conduite tenue alors par le gouver-