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cipales de New-York. Ainsi s’explique cet étrange et triste spectacle d’un grand peuple impunément insulté par une poignée de malfaiteurs résolus.

L’approche de l’élection est une autre cause de faiblesse. La campagne présidentielle commence, et chaque jour qui s’écoule enlève quelque chose au pouvoir du magistrat détrôné. La constitution, qui a limité à quatre ans la durée de sa charge et permis néanmoins qu’il fût réélu, le réduit pendant les derniers mois au rôle de suppliant et d’accusé. Le chef de la république devient un candidat qui se prosterne devant l’idole populaire et ne songe plus qu’à mendier des voix. Il y a alors une sorte d’interrègne et de suspension de l’autorité. Les meetings et la presse font une guerre brutale au malheureux titulaire de ce gouvernement décapité. On imprime, on débite ouvertement sur son compte des plaisanteries indécentes, de grossiers libelles. Il suffit d’en citer les titres : Lincolniana, les Farces du père Abe, l’Honneur du vieux Abe, Abe faux monnayeur, Abraham Africanus Ier ou les Mystères de la Maison-Blanche. D’autres prennent l’air indigné, et l’accusent sérieusement d’être un parjure, un meurtrier, un traître ! On ne respecte même pas sa vie privée. Et c’est le même homme qui est investi par la loi martiale de pouvoirs presque illimités !

Cette crise est toujours dangereuse dans les républiques où à jour fixe l’existence même du gouvernement est mise en question. Les partis s’agitent, se combattent, s’absorbent dans leurs ambitions rivales, et pendant ce temps le bien public est oublié. La nation, divisée en plusieurs camps ennemis, néglige jusqu’au soin de sa défense ; il peut même arriver que les partis voient des alliés dans l’ennemi public, et qu’ils se réjouissent de ses victoires comme d’autant de chances de succès. Je ne parle pas des démocrates, qui sont trop souvent les secrets amis du sud ; je connais de zélés partisans de l’Union, des abolitionistes radicaux, qui se consolent des derniers désastres en songeant qu’ils peuvent chasser Lincoln de la présidence et en ouvrir la porte au général Fremont. L’autre soir, dans un meeting radical tenu à Union square, on s’est plus occupé d’injurier le président que de porter secours à la patrie menacée. L’unique question est de savoir qui sera élu. C’est qu’en vérité la destinée de l’Amérique dépend du choix qu’elle va faire. Jamais élection n’a été si périlleuse, ni division si profonde entre les partis ; jamais par conséquent la présidence expirante n’a eu plus de causes de faiblesse qu’à l’heure même où se fait sentir le besoin de sa force.

Voilà donc trois partis en présence : les radicaux, les républicains et les démocrates. Qui sera vainqueur ? Je n’affirme rien, et