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sont persévérans et obstinés. Ils engloutiront dans cette guerre l’épargne du passé et le gain de l’avenir. Ils se ruineront pour payer des mercenaires, mais ils protesteront contre la conscription ; ils consentiront sans peine à creuser le gouffre de la dette, de la banqueroute peut-être, mais ils ne s’indigneront pas si l’ennemi insulte le territoire et dévaste les états voisins. Enfin ils n’ont rien de commun avec ce peuple de badauds aimables, toujours prêts à regarder la première mouche qui vole, et à s’en faire un prétexte, de trouble et d’oisiveté. La mouche est une montagne qui menace de les écraser. L’anxiété règne au fond des esprits, mais on vaque aux affaires avec tout le sang-froid accoutumé…

La justice de la cause fédérale est trop évidente pour que j’hésite encore à prendre parti. Je me décide enfin à vous faire ma profession de foi. On dit que l’esclavage sert de prétexte à l’ambition du nord, que son humeur envahissante, sa tyrannie inconstitutionnelle, sont les causes véritables qui ont poussé à l’insurrection les, populations désespérées du sud. On travestit les fédéraux en despotes étrangers, les confédérés en défenseurs de la patrie et de la liberté. Cela n’est pas exact : l’abolition n’est pas un prétexte ; le gouvernement fédéral n’a pas donné l’exemple de la violation des lois. L’exemple est venu des rebelles : tout en se disant les champions de la constitution déchirée, ils ont été les premiers à y porter les mains. Les causes véritables de la guerre sont l’esclavage, l’antagonisme des deux sociétés rivales, surtout l’ambition des hommes du sud, qui prétendaient rester les maîtres en dépit de l’opinion publique, et qui ont levé le drapeau de la révolte le jour où la présidence leur a échappé.

Tandis qu’au sud l’esclavage, lié à la propriété foncière, développait au sein des institutions républicaines les défauts de l’aristocratie, au nord il était frappé de mort et de stérilité. Il ne se propageait point parmi les fils des pèlerins et des quakers, ni dans les contrées peuplées sous leur influence. L’air de la démocratie lui était funeste, la force des choses le repoussait du territoire que lui ouvraient les lois. C’est dans ce sens que l’esclavage est le principe de la guerre. Je ne prétends pas qu’elle se soit engagée sur la question morale et philosophique de l’abolition. Qu’on me montre un peuple ou un parti qui ait combattu pour une idée pure, et chez qui la question de principes n’ait pas touché à une question d’intérêt. L’esclavage a été attaqué d’une part, défendu de l’autre, comme l’allié et pour ainsi dire le symbole de l’aristocratie, comme le seul appui sur lequel elle pût en Amérique se fonder et se maintenir. Je sais des hommes convaincus qui ont dévoué leur vie à l’idée de l’abolition ; mais, quand ces hommes-là joueraient un rôle,