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Tous ces établissemens n’ont aucune rente, et sont soutenus par des taxes. La dépense est d’environ 500,000 dollars par an, soit 2,500,000 francs. Elle dépend du vote de chaque année, et cependant n’a jamais souffert de la parcimonie des citoyens. C’est que les comptes sont rendus publics. On ne connaît pas en Amérique ce système ingénieux de l’abonnement qui fait de l’impôt une sorte de redevance féodale, et du vote de l’impôt une abdication y on ne croit pas que les taxes, une fois recueillies, soient la propriété des administrateurs. Aussi le principe de la spécialité s’applique-t-il dans les budgets municipaux non-seulement aux dépenses, mais aux taxes elles-mêmes. Il y a l’impôt des rues, l’impôt des écoles, l’impôt des hôpitaux, l’impôt des prisons, tous discutés chaque année et réglés sur les besoins actuels. On donne plus librement quand on sait que l’argent destiné à nourrir les pauvres n’ira pas grossir le traitement d’un maire ou enrichir la demeure d’un préfet.

10 juillet.

Je lis dans un journal un article qui signale assez bien la différence de nos traditions politiques et de celles des Américains. Il s’agit de certaines visites domiciliaires faites à Paris et de notre loi préventive sur les associations, chose incompréhensible pour des Américains. Ils exercent volontiers un acte de violence isolé ; mais que l’arbitraire soit ordonné, légalisé, qu’il y ait des règles permanentes qui le font peser constamment sur tout le monde, cela confond leurs idées. Ils ont en revanche des procédés nouveaux et sans façons. Veut-on tuer un journal, on ne lance ni accusation ni décret, on ne recourt pas toujours à la force, car il peut se trouver un gouverneur démocrate, comme M. Seymour, pour traduire en justice l’imitateur hardi du général Dix[1]. Voici comment on s’y prend. On dit à la poste : « Vous refuserez de servir ce journal. » L’administration de la poste, qui est républicaine, se prête à la chose, et le journal est tué du coup. Est-ce le gouvernement qui le tue ? Non pas ; c’est la poste qui dans son libre arbitre, et par scrupule de conscience, a cessé de prêter son concours à des ennemis de l’état.

Le grand mal de la démocratie américaine n’est pas tant cet arbitraire, toujours rare, contenu d’ailleurs par l’habitude ancienne d’une liberté sans limite, que l’abstention des honnêtes gens. Vous vous figuriez peut-être que c’était un fléau inconnu aux républiques, et

  1. On sait que le général Dix commandait alors le département militaire dont le siège est à New-York, et usa quelquefois contre la presse des pouvoirs extraordinaires qui lui étaient confiés.