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tein, le même qui est devenu plus tard ministre des cultes dans le cabinet de Dresde, averti sans doute par les maîtres sous l’œil desquels avait grandi le jeune docteur, plaida sa cause auprès des ministres et lui fit obtenir un secours de deux cents thalers. La somme était plus que modeste ; qu’importe ? on vit de pain et d’eau, on couche sur la dure, on voyage le bâton à la main quand on aime la science en apôtre. M. Tischendorf visita les bibliothèques de l’Allemagne, et après deux années de recherches, de lectures, de confrontations scrupuleuses, il donna la première édition critique du Nouveau Testament, sauf à demander un jour le complément de son œuvre à de plus lointains voyages et à des recherches plus étendues. En pareille matière, l’important est d’établir ses bases ; le cadre, une fois tracé au nom de la science, s’enrichit tout naturellement des découvertes de l’avenir. Ce hardi travail parut en 1841, une année avant la publication du premier volume de Lachmann. L’événement fit grand bruit parmi les philologues et les théologiens de l’Allemagne. Que l’illustre Lachmann, devancé par un inconnu, ait apprécié l’œuvre de son rival avec peu de justice, on n’en sera malheureusement point surpris. La philologie a ses passions, et Lachmann n’eût pas fait tant de grandes choses, s’il n’avait été le plus impétueux des hommes. Il y avait des juges moins suspects dans les hautes écoles du centre et du nord ; un des vétérans de la critique évangélique, M. David Schulz, professeur à l’université de Breslau, en poussa un cri de joie. « Il y a longtemps, écrivait-il dans un recueil d’Iéna, qu’aucune offrande n’a réjoui mon esprit comme celle que vient de nous faire un jeune savant, hier encore presque inconnu, et cela dans un domaine qui m’est cher depuis mes premières années d’étude, dans ce champ de la critique et de l’interprétation évangélique que je n’ai cessé de cultiver avec amour. » Le vieux maître, en finissant, invitait le nouveau venu à ne point se décourager. « Si les contemporains, disait-il s ne lui accordent qu’une attention distraite, les générations survenantes sauront apprécier son œuvre, et la reconnaissance publique ne lui fera point défaut. »

De telles paroles, confirmées par des suffrages de même valeur, étaient déjà une récompense assez précieuse : M. Tischendorf voulut y joindre les éloges du plus sévère de ses critiques. Dès l’année 1830, Lachmann avait signalé certains palimpsestes de notre Bibliothèque nationale comme des documens de la plus haute importance, « promettant une gloire immortelle au philologue parisien qui saurait les transcrire. » Son premier travail terminé, le théologien de Leipzig, qui avait encore Une cinquantaine de thalers disponibles sur sa pauvre subvention, se remet en marche et arrive à Paris. Il va droit