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fois une entreprise charitable, une manifestation politique et une sorte de fête nationale. Ne vous rappelez ni la bienfaisance des coteries parisiennes, ni cette mendicité fashionable où les billets doux se mêlent aux billets de quête, ni ces bazars où nos dames élégantes rassemblent un petit monde poli, indifférent et raffiné. La charité américaine n’est pas le luxe ou l’amusement des désœuvrés. Figurez-vous une sorte d’exposition universelle où est conviée l’Amérique entière, enrichie par cent mille donateurs, soutenue par le zèle et le dévouement d’un millier de personnes, et suscitant les aumônes par millions de dollars : voilà le miracle accompli par l’initiative hardie de quelques hommes généreux, au premier rang desquels je peux vous citer l’infatigable organisateur de cette entreprise nationale, M. J. Barklay.

La sanitary fair se tient sous de vastes hangars de planches, somptueusement décorés, qui occupent un des squares les plus spacieux de la ville. Cinq cents dames se sont volontairement enrôlées dans l’œuvre, et passent treize heures par jour à leurs comptoirs. Rien d’ingénieux d’ailleurs comme leur système d’impôt : elles ont su varier et multiplier à l’infini les tentations et les pièges. Je paie en entrant, je paie en sortant ; je paie pour voir un musée où resplendissent à la lumière du gaz les platitudes bien vernies de la peinture indigène ; je paierai si je veux prendre part au vote qui décerne un vase d’argent à l’homme politique le plus populaire ; je paierai encore si je veux contribuer au choix du général à qui sera offerte une épée d’honneur. Chaque suffrage pèse en proportion de l’offrande qui l’accompagne. Je retrouve là ce génie du négoce, cet art souverain de la réclame, que les Américains portent dans toutes leurs entreprises, et auquel répond si bien la générosité du public.

La commission sanitaire, qui recueille les bénéfices de la vente, n’est pas seulement une bonne œuvre, c’est une institution politique. Quand le gouvernement, surpris par la guerre, eut tout d’un coup à improviser une armée, l’initiative individuelle, qui en ce pays ne sommeille jamais, vint bravement à son aide. Les uns formèrent une compagnie, les autres un régiment, ceux-là un simple peloton, et en quelques semaines l’armée fut prête. Ce qui s’était fait pour l’armée, la commission sanitaire le fit pour le service des ambulances et des hôpitaux, et elle s’imposa le devoir difficile de pourvoir au bien-être du soldat. C’est cette association purement volontaire, soutenue d’abord par ses seuls fondateurs, qui bientôt se répandit, s’organisa, et qui continue encore, sans subvention aucune, à remplir la tâche qu’elle s’est donnée. Vous voyez que le peuple américain n’est pas prés de la laisser périr. Harrisburg,