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leur archevêque lui-même ne put réprimer. Le signal fut donné au moment où la ville, dégarnie de troupes et privée de sa milice, ne pouvait opposer aucune résistance aux insurgés. Cette guerre des rues, la première qui ait ensanglanté la république, a été une guerre de sauvages. On a tué, pillé, pendu les nègres aux lanternes, mutilé et torturé les prisonniers. La cruauté de la populace était poussée jusqu’au délire ; les femmes mêmes donnaient l’exemple de la férocité. Deux officiers, pris dans leurs maisons, ont été traînés dans les rues, sanglans et défigurés, puis hachés en pièces. Enfin les troupes vinrent, on tira le canon, et il y eut douze cents morts. Les Allemands sont en général plus paisibles quand le wkiskey ne les gouverne pas.

J’ai rencontré ce matin un régiment de milices qui marchait enseignes déployées, musique en tête, à la grande admiration des passans. C’est la première fois que les Américains jouent au soldat, du moins depuis longues années, et, si terrible que soit le jeu de la guerre, les peuples s’en amusent toujours. Moi-même, en voyant l’orgueil patriotique peint sur tous les visages, je m’y associais bon gré, mal gré, tant le bruit du clairon et du tambour va au cœur de l’homme ! Ces milices ne ressemblent guère à nos gardes nationales ; encore moins rappellent-elles les volontaires anglais : ce n’est ni une parade, ni un crickett-club ; demain, à toute heure, un ordre du gouverneur peut les jeter dans la mêlée.

Il y a trois ans que la guerre dure ; on se forme vite à pareille école, et les Américains sont devenus plus belliqueux qu’il n’est de mode de le penser en Europe. Leur temps d’apprentissage est fait. Il y a loin des vieilles bandes aguerries de l’armée de Grant au ramassis qui s’enfuyait à Bull’s-Run. J’ai rencontré çà et là des échantillons peu brillans de cette première armée. Les avocats et les boutiquiers sont rentrés dans la vie civile. Il n’en est resté qu’un noyau de vétérans qui maintiennent l’esprit militaire et forment les recrues nouvelles. Il en est de même des officiers ; ce ne sont plus des agens recruteurs récompensés par une épaulette ; il n’y a plus ni grades improvisés, ni avancemens à vendre. Les cadres sont encombrés d’officiers méritans qui attendent. D’ailleurs il y a beaucoup de provisoire dans l’organisation de l’armée. Elle se divise en armée régulière, autrefois la seule, et directement soumise au gouvernement fédéral, et en armée volontaire, levée, équipée, organisée par les états particuliers, et mise au service de l’Union. L’armée régulière s’amoindrit chaque jour ; elle ne comble pas ses vides, et elle aura bientôt disparu. On la délaisse pour l’armée volontaire, où l’avancement est plus rapide, et la solde plus forte. L’engagement des volontaires n’est point permanent ; ils s’enrôlent