Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On les chasse des omnibus, on les exclut des églises. Voilà comment ces démocrates comprennent l’égalité, et ces puritains la charité chrétienne. Les catholiques du sud, sous le régime de l’esclavage, admettaient les noirs dans leurs temples : les hommes du nord, qui les émancipent, ne les veulent même pas, pour égaux devant Dieu ! Les amis du sud ont-ils donc raison ? Est-il vrai que l’esclavage ne soit qu’un prétexte et l’abolition une machine de guerre ? Sans doute cela ne justifierait pas les gens du sud de s’armer pour la défense d’un odieux préjugé ; mais si les principes n’étaient en effet pour les gens du nord qu’une enseigne, un masque ingénieux pour couvrir leur intérêt, il serait difficile de ne pas devenir tiède à la vue d’une inconséquence qui ressemblerait si fort à de l’hypocrisie.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui la destinée de l’esclavage dépend du sort de la guerre, et nul ne doit refuser sa sympathie à une cause qui est l’alliée de la liberté humaine. Qui ne sait d’ailleurs qu’un principe une fois admis porte ses conséquences malgré les hommes ? Il s’impose à leur esprit et à leur volonté. Le prétexte qu’on a invoqué, si peu sincère qu’on soit d’abord, devient un engagement auquel on ne peut plus échapper, et le préjugé qu’on désavoue perd toute sa force du jour où l’on n’ose plus le justifier. Hier, une pauvre femme de couleur, veuve du sergent Anderson, des troupes nègres, mort au champ d’honneur, fut outragée et battue par un cocher avec l’aide d’un policeman ; mais ce soir un journal relève avec indignation cette brutalité. Ceux-là seuls qui connaissent l’Amérique d’autrefois peuvent dire la réaction qui s’est faite contre les préjugés de couleur. Il faudra bien que la logique ait son cours, et que cette grande réforme sociale passe des institutions dans les mœurs. Déjà ces blancs qui ne veulent pas s’asseoir auprès des nègres en ont fait leurs compagnons d’armes. Il est difficile de traiter comme des chiens ceux qu’on appelle ses frères, et d’interdire de prier Dieu à ceux qu’on a jugés dignes de servir la patrie.

New-York est d’ailleurs une ville démocrate et sudiste, où de pareilles scènes sont à leur place. La finance et la populace, qui y règnent ensemble, veulent avant tout la fin de la guerre, l’allégement des taxes, la suppression des levées militaires. Elles ne demandent qu’à s’engraisser seules, et se soucient peu des intérêts de l’Union. C’est que dans cette Amérique, où déjà le lien national est si fragile, New-York est entre toutes une ville sans patrie. C’est le marché cosmopolite, la vaste hôtellerie que l’Amérique ouvre à tous les peuples. Il est naturel qu’on y déteste des sacrifices faits sans dévouement. L’an dernier, à propos de la conscription, l’argent des riches copperheads obtint des Irlandais une émeute que