Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ces découragemens et à ces terreurs vaines qui ailleurs sont devenues chroniques.

15 juin.

Après la thèse l’antithèse. J’ai entendu le son d’une autre cloche, et l’orateur du sud après celui du nord. C’est un Français, ancien possesseur d’esclaves aux colonies, aujourd’hui même propriétaire dans les états du sud, élevé au-dessus du grossier préjugé de ses pareils, qui fait de l’esclavage un principe sacré. Sur la question morale et abstraite, M. d’A… m’accordera tout ce qu’il me plaira. Il parle volontiers du principe antichrétien et antihumain de l’esclavage. Il dira même qu’il s’applaudit de le voir chassé du Nouveau-Monde ; mais il n’a pas moins d’indulgence pour le fait que d’horreur pour le principe. « Ce n’est pas tant, dit-il, la question de l’esclavage qui est en jeu que les ambitions des deux sociétés rivales. » Enfin il trouve bien dur de payer du sang d’un million d’hommes et de la ruine de tout un peuple l’affranchissement de quatre millions de noirs. « Il fallait, dit-il, s’en remettre au temps et à la Providence, — non pas que les gens du sud songeassent à l’émancipation des noirs, ni que les esclaves mêmes l’eussent jamais désirée ; mais le temps aurait adouci l’hostilité après quelques générations, l’aristocratie territoriale du sud, abaissée, par la division des fortunes, serait rentrée dans la foule. Cependant la race noire aurait lentement dépéri. La mort est l’émancipation naturelle qui, sans révolution ni guerre fratricide, devait résoudre et pacifier la question de l’esclavage. Les abolitionistes ne font que hâter l’inévitable destinée d’une race inférieure. On a prononcé en Europe des mots horribles ; on a parlé des haras d’hommes de la Virginie : ce sont d’abominables calomnies. Les maîtres sont doux, humains, bienfaisans. Les vrais persécuteurs sont ces philanthropes qui prêchent au nègre les droits de l’homme, et ne veulent même pas lui laisser sa place au soleil, qui dans l’ouest font des lois pour lui défendre de s’établir sur leur territoire, si ce n’est comme domestique et par tolérance, qui le repoussent, le proscrivent, le pourchassent comme une bête impure, et le forcent à chercher un refuge au Canada ou dans les états du sud. »

Quant à l’union, M. d’A… ne la croit plus possible. Il avoue qu’elle n’a de salut que dans la guerre ; mais il connaît le sud, qui n’est pas, dit-il, si affaibli qu’on l’imagine. « Ce n’est pas une ville assiégée qu’on puisse réduire à la famine, c’est un vaste pays agricole qui puise en lui-même ses ressources, qui d’ailleurs vend son coton à l’Angleterre pour des armes et des munitions. Il a du fer pour fondre des canons, du salpêtre pour faire de la poudre, une ar-