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bientôt à l’université de Leipzig, où il ne tarda guère à prendre le premier rang parmi les hommes de sa génération. Dès l’âge de vingt et un ans, il traitait à fond un sujet mis au concours par la faculté de théologie et remportait la victoire. L’année suivante, il publiait un recueil de vers, car il hésitait encore à cette date entre la science et l’imagination. Fleurs de mai, tel est le titre de ce volume publié en 1837, et assez vivement discuté alors par la critique. L’œuvre du jeune poète avait eu cette bonne fortune de rencontrer à la fois des juges très sévères et des admirateurs très indulgens. L’auteur de Robert le Diable lui écrivait peu de temps après : « J’ai détaché du recueil plusieurs pièces que j’ai l’intention de mettre en musique. » Meyerbeer a-t-il tenu sa promesse ? Cette mélodie, que le maestro n’a point fait connaître, se trouvera-t-elle un jour ? Je ne sais ; une chose certaine du moins, c’est que les chants du jeune théologien de Leipzig avaient éveillé un écho dans l’âme du grand compositeur, et qu’un autre musicien illustre, celui dont l’Allemagne oppose quelquefois l’inspiration idéaliste au réalisme puissant de Meyerbeer, le poétique Mendelssohn, a consacré par son art une page des Fleurs de mai.

Avant de quitter l’université aux fêtes de Pâques de l’année 1838, M. Tischendorf écrivit une dissertation en latin sur le chapitre de l’Évangile de saint Jean relatif à la Cène. C’était une réponse à l’appel de ses maîtres, c’était aussi un adieu qu’il leur laissait jusqu’au moment du retour. Pauvre, obligé de se suffire à lui-même, réduit à ce pain trempé de larmes dont parle si bien l’auteur de Wilhelm Meister, il connut aussi les extases que Goethe promet à la jeunesse en échange de ses épreuves. Tout en remplissant d’humbles fonctions de répétiteur dans l’institut pédagogique de Gross-Städteln, non loin de Leipzig, le jeune théologien exprimait ses idées religieuses dans une sorte de roman intitulé le Jeune Mystique. C’est l’histoire d’une âme et en même temps une théorie du mysticisme, non pas du mysticisme insensé, qui n’est que le suicide de la raison, mais de ce mysticisme qui, prenant pour base la raison même, c’est-à-dire la faculté de l’absolu, lui demande un suprême effort pour atteindre son objet. « Il nous manque une bonne théorie du mysticisme, » écrivait plus tard un des plus nobles théologiens de nos jours au moment où il sentait sa foi, jadis un peu hautaine et même intolérante, se dissiper en poussière sous les coups de la critique ; c’est précisément cette théorie protectrice que M. Tischendorf imaginait pour lui-même au milieu des angoisses de la lutte intérieure. Cette théorie est-elle bonne ? serait-elle de force à préserver des blessures toutes les consciences sincères ? N’en demandez pas tant à un novice ; son livre l’a soutenu,