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ainsi le droit d’inscrire son nom dans une histoire des relations intellectuelles entre les deux peuples.

Bien que les édifices publics élevés sous Gustave III ne soient pas en grand nombre, on peut dire que la capitale de la Suède porte à certains égards son empreinte. Le pont qui unit au continent l’île principale où se trouve le château a été commencé pendant son règne ; ce pont conduit à la grande place sur laquelle on voit le théâtre édifié alors avec tant de sollicitude. Le monument funéraire de Descartes, dû au respect de Gustave, prince royal, pour ce grand nom, la statué de Gustave Vasa, — celle que Mme de Staël appelait le Jupiter olympien de la Suède, — modelée par un Français, Pierre Larchevêque, et inaugurée en 1774, toute une partie de la ville créée vers cette époque et dont les constructions conservent un grand air ; aux portes de la capitale la jolie résidence de Haga ; plus loin les beaux jardins français de Drottningholm ; dans ces châteaux royaux les présens de Louis XV et de Louis XVI, de riches gobelins, des vieux-sèvres d’une immense valeur, enfin d’innombrables portraits de nos hommes de guerre, de nos hommes d’état, de nos écrivains, de nos spirituelles grandes dames, — tout cela subsiste pour offrir au visiteur français comme une aimable et chère vision dont il est reconnaissant envers Gustave III.

Ce n’était pas d’ailleurs seulement par légèreté d’esprit ni par pur dilettantisme que Gustave s’était livré si vite à la pente de son siècle. Par le théâtre et par l’éclat des fêtes de cour, il croyait faire naître un luxe nécessaire, exciter les arts, élever le niveau intellectuel de la nation. Il avait encore une autre pensée, toute politique : il espérait, par les séductions d’une cour brillante, attirer et retenir auprès de lui les fils de ces nobles suédois qui avaient été vaincus par le coup d’état de 1772, et qui en conservaient un ressentiment dangereux. Il devait échouer, et en partie par sa propre faute. Ce charme d’une cour qu’il avait voulu créer, et sur lequel il comptait appuyer sa politique intérieure, il parut tout le premier n’y pas assez croire, et le laissa impuissant. Ceux des jeunes nobles qui lui étaient hostiles restèrent à l’écart ; les autres, s’ils voulaient mériter sa faveur et ses bonnes grâces, durent continuer, nous le verrons, de venir à Versailles pour faire preuve à ses yeux de bon goût, de talens et d’esprit. Lui-même enfin, trop à l’étroit dans son royaume, le quittera beaucoup trop souvent pour aller demander aux cours étrangères l’appui et la renommée.


A. GEFFROY.