Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

holm la rare élégance de la salle, avec sa tenture gris-perle ; on voit encore aujourd’hui les œils-de-bœuf d’avant-scène, qui datent de la première construction, et la topographie de la fatale soirée du 16 mars 1792 se retrouve sans trop de difficulté. Dès la publication du premier almanach théâtral, faite par les soins de ce même Ristell à qui nous devons le curieux livre des Anecdotes de la cour de Gustave III, le personnel du seul opéra monte à près de cent cinquante personnes ; le ballet, avec Marcadet et Gallodier, s’est recruté en France, mais les chanteurs sont suédois, comme ce Karsten, qui a laissé le souvenir d’une rare majesté dans l’interprétation des grands rôles de Gluck, et dont la petite-fille, née à Stockholm, a été la célèbre Taglioni. La femme de Karsten, morte à quatre-vingt-quinze ans, vers 1846, a longtemps représenté dans la société suédoise la tradition des beaux jours du roi Gustave : elle parlait avec charme et dignité de ce qu’étaient alors les menus-plaisirs du roi, et de M. Monvel, qu’elle appelait « le favori de sa majesté. »

Il suffit d’ouvrir la correspondance imprimée du roi de Suède pour se convaincre de l’ardeur incessante avec laquelle il se préoccupait des intérêts de son théâtre. Engagé dans une guerre contre la Russie sur l’extrême frontière de la Finlande, il ne se sépare jamais du portefeuille qui contient, avec quelques livres agréables, ses propres essais dramatiques. Ses billets sont innombrables au baron d’Armfelt, à qui il avait confié la direction des spectacles, soit qu’il indique à tel auteur dont il renvoie le manuscrit les changemens à faire avant l’admission de son œuvre à la scène, soit qu’il adresse à Léopold un canevas de tragédie composé par lui-même et que le poète saura revêtir de beaux vers suédois, soit enfin que les vicissitudes nombreuses de la troupe française à Stockholm, demandes de congés, actes d’indiscipline, recrutement, occupent son inquiète vigilance.


« Du camp devant Borgo. — Mon cher ami, faites rentrer les acteurs qui ont voulu se retirer : les deux sujets en question m’intéressent comme spectateur et comme auteur. Ce sera le seul plaisir que j’aurai cet hiver, et mon portefeuille est rempli de productions que mes tendres entrailles ne voudraient pas voir massacrer. »

« Voici, mon bon ami, la tragédie que je vous renvoie. Si l’auteur veut faire les changemens que je propose, je garantis qu’elle aura du succès malgré la faiblesse de la versification, et de cette manière-ci elle ne sera pas plus une copie de Lemierre que toutes les Iphigénies possibles ne le sont du théâtre grec. Les changemens sont si légers que je crois que l’auteur pourra les faire dans huit jours. Pressez-le pour qu’on puisse jouer la pièce au plus tôt. Bonsoir. »