Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/849

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théâtre du second ordre, alors si fécond ; la troupe suédoise elle-même ne vécut guère, si l’on excepte les comédies de Holberg, empruntées à la scène danoise, que de traductions d’après Dallainval, Marsollier, Carmontelle et Collé : la Partie de chasse de Henri IV, Dupuis et Desronais, l’Amant bourru, firent les délices des Suédois presqu’à la même époque où ils charmaient nos grands-pères. Monvel, pendant son séjour en Suède, de 1781 à 1787, forma d’excellens élèves, dont le plus célèbre, nommé Hiortsberg, a laissé toute une légende après lui : il parlait admirablement le français ; sa mémoire était prodigieuse. Ayant lu à la dérobée un poème d’un bout à l’autre, il fit croire à l’auteur, par ses innombrables citations, qu’il avait lu cela quelque part, et que son ouvrage n’était qu’un plagiat. Il contrefaisait si bien le grand Frédéric qu’un vieux diplomate prussien, ayant fait la guerre de sept ans, mis tout à coup en présence de Hiortsberg, qui l’appela par son nom d’une voix bien connue, se jeta à ses genoux et s’écria : Mein alter Fritz ! La vraie création de Gustave III fut l’opéra suédois. Dès la première année de son règne, et quelques mois seulement après le coup d’état, le 19 janvier 1773, il faisait jouer le premier opéra écrit dans la langue nationale, Thétis et Pelée, dont la musique était du maître de chapelle Uttini, et l’on exécutait sur les diverses scènes des résidences royales les œuvres de Grétry, celles de Haendel, surtout celles de Gluck, avant même que Marie-Antoinette les eût introduites en France. Bientôt la Suède connut à la fois les grandes œuvres musicales de l’école allemande, les deux Iphigénies, Orphée, Alceste, Armide, des œuvres italiennes comme le Roland de Piccinni, et le genre alors si goûté de l’opéra-comique : la Sérva padrona de Pergolèse, traduite en français par Bauran, et du français traduite en suédois, le Tableau parlant de Grétry, Nina ou la Folle par amour et Camille ou le Souterrain de Dalayrac, la Belle Arsène, Rose et Colas, le Déserteur de Monsigny. C’est de nos jours à Stockholm qu’on peut revoir le plus souvent quelques-unes de ces vieilles pièces conservées si longtemps dans notre répertoire, et qui ont tant contribué à répandre en Europe le charme de l’esprit français. Le petit théâtre du château royal de Gripsholm, que tous les touristes vont visiter sur les bords du Mélar, offre encore sur sa scène déserte le décor du Devin de village.

Gustave consacra ces premiers efforts par la construction d’une salle digne du nouveau règne : en 1782 fut inauguré le Théâtre-Royal, dédié aux muses suédoises, patriis musis, et devenu célèbre par le coup, pistolet d’Anckarström. L’architecture ry l’ordonnance intérieure, modifiées depuis par des remaniemens devenus nécessaires, en étaient toutes françaises ; on n’a pas oublié à Stock-