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ses recherches sur les empereurs de Byzance ; il y a ici quelque chose de cela, mais sous la forme la plus sérieuse et la plus noble. Le peintre élégant du comte Kostia a beau donner à son Gilbert toute la science imaginable, il n’en fera jamais un helléniste paléographe qui puisse être comparé à M. Tischendorf. Quant au seigneur du roman, ce serait une irrévérence de retrouver en lui le moindre rapport direct avec le grand-duc Constantin, frère du tsar Alexandre II. Aussi, écartant avec soin tout ce qui pourrait éveiller un sourire, je me permet ? seulement de remarquer combien ce tableau d’un grand seigneur, d’un très grand seigneur, ardent, intelligent, avide de savoir, accompagné d’un érudit illustre qu’un autre pays lui prête pour ses explorations, est vraiment un tableau russe de notre siècle.

Ce n’est pas seulement cette mission russe qui nous intéresse, ce n’est pas seulement le curieux récit publié tout récemment par M. Constantin Tischendorf que nous voulons signaler à nos lecteurs ; ces tableaux de voyage ne peuvent se séparer d’un sujet plus grave. Ils paraissent dans un temps où l’exégèse multiplie ses recherches, où des chrétiens de tout pays, de toute communion, de toute nuance, vont étudier dans la Palestine même les traces du drame évangélique. Des théologiens d’Amérique, M. Edouard Robinson et M. W.-F. Lynch, traversant les mers pour interroger en critiques les pays que Chateaubriand avait décrits en poète, ont inauguré par des découvertes mémorables les enquêtes de la science moderne. Le médecin suisse Titus Tobler, excité par leur exemple, n’a pas laissé inexploré un seul recoin des rues de Jérusalem, un seul sentier, un seul pli de terrain de la ville sainte à la Mer-Morte. Et que d’exemples à citer encore ! L’Écossais George Finlay, à propos de la topographie de l’Évangile, a combattu sur les lieux mêmes et avec une incomparable vigueur les adversaires de la tradition. L’Allemand Fallmerayer, non content de résumer tous ces travaux avec sa verve sarcastique, est allé s’installer tout un mois dans un couvent de Jérusalem afin de juger les champions sur place. M. Ernest Renan publie, à la satisfaction de l’Europe savante, les résultats de sa mission en Phénicie. Un écrivain protestant, M. Edmond de Pressensé, vient aussi d’étudier les lieux saints comme saint Anselme voulait qu’on étudiât le christianisme, fides quœrens intellectum. En un tel temps et au milieu d’un mouvement d’études si variées, il y aurait vraiment de l’injustice à laisser dans l’ombre les travaux du célèbre helléniste M. Constantin Tischendorf. Ce voyage d’Orient n’est pas un épisode dans sa vie, comme pour tel des hommes que je viens de nommer ; le but de toutes ses études, la vraie patrie de son intelligence, c’est l’Orient chrétien. A lire ses