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« 16 juin 1774. — M. le duc de Choiseul est arrivé dimanche soir à Paris ; le lendemain, il a été à la Muette, ou il a été reçu du roi médiocrement. Ce prince ne lui a qu’une seule fois adressé la parole, pour lui dire « qu’il avait perdu ses cheveux. » La reine lui a fait un accueil flatteur en lui disant : « Je suis bien aise de m’acquitter envers vous d’une des obligations que je vous ai ; je vous dois mon bonheur ; et je m’estime heureuse d’avoir pu contribuer à votre retour. » M. de Choiseul a lieu d’être content. Le peuple a environné son hôtel lorsqu’il arrivait, et l’a reçu avec des applaudissemens et des transports. Tous les princes du sang, tous les ambassadeurs ; tous les grands ont été le voir. Son retour d’exil ressemble à un triomphe ; toute la noblesse, les anciens magistrats et le peuple sont pour lui. Toutes les femmes de la cour, excepté Mme de Marsan ; travaillent en sa faveur auprès de la reine. Mme de Brionne surtout est le point de réunion de tous ses amis ; il en est toujours très amoureux ! et, pendant les deux fois vingt-quatre heures qu’il est resté à Paris, il n’a soupé que chez elle. La princesse de Beauvau a beaucoup engagé aussi la reine dans ses démarches en faveur de M. de Choiseul ; aussi lui ai-je écrit au sujet de ce retour, un billet dont elle a été infiniment flattée : elle m’a fait une réponse charmante. Votre majesté étant en commerce épistolaire avec Mme de Brionne, une lettre de compliment de sa part ferait un effet merveilleux ; — L’abbé de Vermont est le seul homme jusqu’ici qui ait toute la confiance de la reine. Elle vient de lui procurer les entrées de la chambre du roi, ce qui, pour un homme de son état, est une distinction extraordinaire. Cet abbé doit tout à l’archevêque de Toulouse, et ce prélat, ami intime de M. le duc de Choiseul, aspire à entrer dans le ministère ; il est certain qu’il a montré de grands talens dans toutes les occasions : aucune administration n’est aussi parfaite que celle du Languedoc, et c’est lui qui a rédigé tous les projets que les états de cette province ont adoptés depuis dix ans. »


On voit avec quelle attention dévouée le comte de Creutz signale au roi son maître les différentes perspectives qui peuvent servir pour son crédit à la cour de Versailles, et comment il l’invite à se tenir prêt pour chacune d’elles. Gustave ne dédaigne pas ses avis ; il envoie les lettres demandées, et Creutz dit dans une dépêche peu de temps après : « Les différens messages de votre majesté seront remis ou en mains propres, ou par des mains sûres. C’est une chose admirable que votre majesté ait daigné écrire à M. de Choiseul et à Mme de Brionne. Cela fera un excellent effet et préparera bien les esprits dans le cas où quelques changemens surviendraient dans le ministère. » Gustave se montre même tout disposé, si la reine paraît prendre du crédit, à lui écrire pour la disposer en sa faveur ; mais Creutz modère son empressement. « Cela serait su, dit-il, et passerait pour une intrigue. Quoique cette reine se conduise bien, elle est jeune et femme, et par conséquent indiscrète ! Le vrai moyen d’entretenir ses bonnes dispositions serait que votre majesté,