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Aurais demandé comment on fait pour être, un héros comme vous ; je vous aurais confié comment je fais pour être un homme très ordinaire… »


Une seconde lettre, en date du 12 juin, 1775, après avoir renouvelé les fades hyperboles de la première, contient pourtant d’intéressantes informations sur l’état de la cour et des différens partis qui la divisent. Assurément Gustave III, en répondant au précédent message par une lettre arrivée à Paris le jour même du sacre de Louis XVI, mais qui nous manque, s’est empressé d’aller au fait par ses questions et de susciter d’utiles réponses. Monsieur lui écrit alors :


« …..Ma position dans ce pays-ci est assez singulière, Je suis assez bien avec le roi, pas mal avec la reine ; mais la cour est divisée en deux factions, auxquelles je suis à peu près également suspect. La première, et celle, qui inclinerait le plus volontiers vers moi, est celle de M. de Maurepas ; mais, tout en me faisant les plus belles protestations du monde, actuellement qu’ils craignent, l’autre faction, c’est eux qui m’ont empêché d’entrer au conseil, et s’ils prenaient tout à fait le dessus, ils égaieraient une seconde fois de me perdre. La seconde est celle de M. de Choiseul. Je ne sais si vous en connaissez le chef, mais il est impossible de se détester plus cordialement que nous je faisons. Ainsi, s’il prend l’avantage, je serai encore pis qu’avec les autres. Dans ces circonstances, vous jugerez aisément que j’ai besoin de la plus grande prudence, et si on voyait, que nous commençons à nous écrire (ce qu’on sait bien que nous n’avons pas fait encore), de quelque circonspection que nous usassions, cela ne pourrait que faire un mauvais effet, non-seulement pour moi, ce qui ne me toucherait guère à ce prix ; mais même pour vous, et c’est ce que je crains. Aussi je pense qu’il sera à propos de nous restreindre aux occasions moins fréquentes, mais plus sûres, que nous pourrons trouver… « 


Ainsi engagée, la correspondance entre Gustave III et le comité de Provence devient toujours plus intime. Gustave témoigne du prix qu’il y attache en adressant des cadeaux au prince, qu’on voit s’enhardir et traiter bientôt à la fois la politique étrangère et la politique intérieure au point de vue des intérêts particuliers du roi de Suède.


« On m’avait dit il y a quelque temps, écrit-il le 29 mars 1777, une nouvelle qui m’avait fait grand plaisir pour vous, et dont par conséquent j’ai appris la fausseté avec un véritable chagrin. On disait que l’impératrice de Russie avait eu une attaque d’apoplexie. Si cela était, je vous assure que je serais délivré d’un furieux poids, car je crains toujours qu’elle ne vous tombe sur le corps, et dans les circonstances présentes je regarderais une telle invasion, quel qu’en fût le succès, comme funeste pour vous ; car, outre que c’est une bien formidable puissance, la guerre étrangère