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pillant Quinault avant l’émigration et Horace après : on va voir qu’il eut de bonne heure en effet la manie des citations, ce qui était la preuve assurément d’une louable ambition d’esprit et d’une estime, peut-être intéressée, pour l’esprit des autres ; mais il faut en tous cas que l’exil l’ait beaucoup instruit : on avait jusqu’à ce jour peu de documens du temps de sa jeunesse ; en voici des plus concluais et des plus authentiques. S’adressant à un jeune roi étranger dans tout l’éclat d’une gloire récente, Monsieur n’aura eu aucune raison de négliger ici l’expression de sa pensée ou de dissimuler ses qualités d’esprit. Voyons par lui ce qu’était l’éducation de ces derniers princes de la branche aînée des Bourbons ; voyons par d’incontestables témoignages comment les dynasties finissent.


« 21 janvier 1775. — Ce n’est pas sans quelque inquiétude que j’obéis aux mouvemens de mon cœur, secondés des ordres de Mme de La Marck, en prenant la plume pour rappeler au souvenir de votre majesté quelqu’un qui n’a eu le bonheur de la voir que deux fois, mais qui n’en est pas moins resté un de ses plus zélés admirateurs, j’ose dire plus, de ses plus tendres et de ses plus fidèles amis. Cet homme-là, sire, c’est moi-même, comme le disait jadis Marot à François Ier, le restaurateur en France des arts et des belles-lettres, comme Gustave III l’est en Suède du règne des lois et du véritable esprit patriotique. Oui, c’est moi qui ose me dire le plus tendre et le plus fidèle ami du vrai héros de notre siècle. Ce n’est point une flatterie que je vous dis là, c’est l’expression fidèle des sentimens dont je suis pénétré. Ce n’est cependant pas sans inquiétude que je vous fais cette déclaration, car vous est-il encore resté quelque idée de mol, ou, s’il vous en est resté, me trouvez-vous digne du nom de votre ami, que j’ose ici m’arroger ?… Moi, l’ami de Gustave ! Et qu’ai-je fait pour le mériter ? Ah ! ne me jugez pas selon mes mérites, et ne voyez en moi. qu’un cœur vraiment dévoué. Une autre inquiétude vient me saisir. De quel droit, me direz-vous, vous avisez-vous, au bout de quatre années qu’on n’a pas plus entendu parler de vous que de Jean de Vert, de venir dire que vous m’admirez, que vous êtes mon fidèle ami, et cent autres balivernes dont je ne crois pas un mot ? Écoutez ma défense. Étais-je assuré de ne pas vous déplaire ? Même aujourd’hui, si je prends la liberté de vous écrire, ce n’est que depuis les assurances de Mme de La Marck que je ne vous déplairais pas. Que je la trouve heureuse de se pouvoir dire votre amie et d’être en relation avec vous ! Ce n’est pas qu’elle ne mérite assurément ce bonheur par les qualités de son esprit et par celles de son cœur ; mais qui pourrait ne pas envier son sort ? J’ai encore une autre crainte, qui est de vous avoir fait une impertinence en commençant ma lettre ex abrupto.

« Si vous daignez me faire réponse, je vous supplie de me marquer si vous ordonnez que je vous écrive en cérémonie, ou si vous permettez que je me livre à l’effusion de mon cœur. Rassurez-moi aussi sur l’ennui qu’a dû vous causer une lettre si longue et si bête. Ah ! si je n’avais pas eu peur d’abuser de vos momens, je vous en aurais dit bien plus long. Je vous