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avec des difficultés semblables à celles que la lutte contre les parlemens avait suscitées à son aïeul, il saurait lui enseigner l’art de soumettre des assemblées peu dociles en même temps qu’il lui montrerait l’exemple des réformes libérales, dont il avait pris l’initiative. Il affectait d’autant mieux une sorte de supériorité qu’il avait personnellement connu, pendant sa visite à Versailles en 1771, la timidité extrême du dauphin, et qu’un tel caractère était fort éloigné de son infatigable esprit d’aventures. En outre il n’avait pas plu à la dauphine Marie-Antoinette ; la jeune cour n’étant pas en faveur alors, il avait réservé toutes ses séductions pour se faire bien venir de Mme Du Barry, la maîtresse régnante ; la dauphine, devenue reine, n’avait pas oublié ses premières impressions, et Gustave s’en était aperçu. De son côté, le cabinet de Versailles, qui continuait à payer des subsides au roi de Suède après l’avoir mis en état d’accomplir sa révolution de 1772, prétendait ne pas renoncer à une sorte de tutelle, dont le joug se fit plus d’une fois sentir. Louis XVI avait d’ailleurs appelé auprès de lui, comme ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, esprit calme et circonspect, qui ne rapportait de son ambassade à Stockholm aucune excessive illusion sur la puissance effective de la Suède et de son roi. Les deux cabinets et les deux cours s’observaient donc. C’était une raison de plus pour Gustave III de se tenir mieux que jamais informé par de nombreuses et intimes correspondances ; les intérêts de sa couronne y étaient engagés : tant qu’il aurait besoin de notre aide, il devait surveiller attentivement les diverses influences de nature à modifier la volonté royale ou bien les dispositions ministérielles, d’où pouvait dépendre la continuation des subsides ; il fallait qu’il pût prévoir les changemens de faveur à Versailles et qu’il se ménageât sans cesse quelque ouverture auprès des puissans du jour ou du lendemain.

Est-il besoin d’ajouter qu’en dehors de la convenance ou de la nécessité politique un charme renouvelé attirait ses regards vers cette cour et cette société françaises au-devant desquelles, s’ouvraient alors de mystérieuses destinées ? Elle était universelle, cette émotion que les premières années du règne de Louis XV| faisaient naître ; aujourd’hui encore, peu de momens de notre histoire appellent notre étude par de plus émouvans contrastes. C’est en France que s’était accompli pour la plus grande part le travail du XVIIIe siècle, et tout le monde comprenait que ce travail n’était pas fini. C’est aussi en France que les signes de la révolution devaient se montrer tout d’abord, précisément parce que chez nous l’ancien régime, devenu à la fin du siècle moins oppressif que partout ailleurs, s’offrait de lui-même aux attaques. La royauté, sous un