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il ne semble pas qu’il s’en trouve mal. Et qu’on nous permette de le redire après tant d’autres, si l’Angleterre s’est avisée un jour de renoncer au système protecteur en matière de navigation, ç’a été lorsque la prospérité de ses colonies, l’abondance de ses frets de sortie et la supériorité bien établie de ses aptitudes maritimes ne lui ont plus laissé de concurrence à redouter. Obtenir le triomphe absolu des doctrines du libre échange, c’est pour les Anglais faire tomber les dernières barrières posées à leur monopole maritime. Nous concevons qu’ils cherchent ardemment à nous entraîner dans cette voie, nous concevons moins que nos hommes d’état se soient si fort hâtés d’y entraîner la France à son insu. Maintenant que nous y sommes entrés, il y a certains pas sur lesquels il est difficile, peut-être impossible, de revenir ; mais qui nous oblige à aller plus loin ? Quelle nécessité nous presse d’abolir les derniers avantages que les lois conservent à notre pavillon, et de tarir ainsi les sources de notre puissance navale ? Dussions-nous fatiguer le lecteur de nos redites, nous répéterons que des mesures radicales, telles que nous les avons entendu proposer, prises à l’égard de l’inscription maritime, auraient ce funeste résultat. Le régime des classes a rendu trop de services jusqu’à ce jour pour être sacrifié à la légère. Sans doute, dans la position fâcheuse où se trouvent placés nos armateurs, il faut autant que possible alléger les charges que ce régime fait peser sur eux : il y a une foule de règlemens, de détails, d’obligations surannées, d’inspections tracassières, de mesures inutilement vexatoires, qui doivent disparaître ; mais le principe de cette législation doit être maintenu. N’oublions pas qu’en matière de gouvernement il n’y a règle si générale qui ne comporte quelques exceptions, et certes la marine mériterait qu’il en fût fait une en sa faveur, alors même que la doctrine du libre échange aurait, ce qu’elle n’a pas, le caractère d’une de ces vérités souveraines reconnues par tous les peuples. Cette marine, qui fait le juste orgueil du pays, continuons à la traiter comme une plante difficilement acclimatée parmi nous, qui demande une culture très attentive, nous dirions presque une culture forcée, et qui ne doit pas être livrée au souffle variable des opinions de nos économistes.

Gardons le principe de l’inscription, ayons soin de nos matelots, de leurs femmes, de leurs enfans ; chargeons-nous des vieillards, faisons à cette race d’hommes si nécessaires un lit de roses qui ne risquera jamais d’être trop doux, et tenons-les, de peur qu’ils ne s’échappent, dans un enchaînement d’habitudes qui les attache à la carrière maritime. Si nous laissons ces habitudes s’interrompre, si les soins, les secours, les avantages du métier disparaissent pour nos marins, Ils n’en verront plus que les chances incertaines et les