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manquer d’avoir une action funeste sur la puissance navale de la France, car les deux marines, se formant du même personnel, sont forcément solidaires, et l’une ne peut souffrir sans que l’autre s’en ressente. La seule branche de notre navigation qui ne dépérisse pas en ce moment est la pêche. Celle qui se fait sur le littoral voit les chemins de fer assurer un débouché et une plus-value à ses produits par le transport rapide du poisson. Quant à la grande pêche, celle qui arme pour l’Islande et Terre-Neuve, elle se maintient, grâce aux avantages protecteurs dont elle jouit encore. Un des principaux réside dans les traités qui nous assurent un droit exclusif de pêche sur la moitié des côtes poissonneuses de Terre-Neuve. Grande et petite pêche font donc aujourd’hui l’emploi de la majeure partie de notre personnel naval, à la différence de ce qui se passe chez les autres peuples marins, où elles ne sont qu’un accessoire. Par contre, le cabotage et la navigation de haute mer, qui ailleurs font presque l’unique objet des arméniens maritimes et qui forment de beaucoup les meilleurs matelots, sont chez nous insignifians et sur une pente rapide de décadence. Déjà le grand cabotage entre l’Océan et la Méditerranée a presque complètement disparu. Le petit cabotage, qui va de port à port sur le littoral, diminue aussi, quoique moins rapidement. C’est la conséquence inévitable de la concurrence que font aux transports par eau les chemins de fer. L’Angleterre subit elle-même cette conséquence : malgré l’accroissement rapide de sa population, malgré ses côtes si merveilleusement appropriées à la navigation, malgré ses rapports de plus en plus multipliés avec l’Irlande, malgré le mouvement chaque jour croissant du charbon, elle voit, au milieu du progrès général de son commerce maritime, son cabotage rester stationnaire. Il employait 44,650 hommes en 1849 ; il en emploie 43,406 en 1862.

Mais si nous passons à la navigation de haute mer, c’est là qu’apparaît tout notre déclin, d’autant plus triste, d’autant plus alarmant que cette navigation est l’école des bons matelots et le principe véritable de la supériorité maritime. Ce déclin a bien des causes : l’état de crise de nos colonies depuis l’émancipation des esclaves, l’admission du pavillon étranger dans ces mêmes colonies naguère ouvertes uniquement au nôtre, enfin toutes les mesures successives que l’on a commencé à prendre en exécution des traités de commerce négociés avec l’Angleterre.

Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur une question aujourd’hui épuisée par tant d’esprits éminens. Au premier aspect, l’application des doctrines du libre échange doit avoir les plus heureux effets sur notre industrie maritime. Affranchie de toute gêne, de