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était profitable. Un moment on a cru que l’emploi de la vapeur allait diminuer le nombre de marins nécessaires à bord d’un navire, mais on a été vite détrompé. Il suffit de citer à ce sujet l’exemple si frappant de l’escadre anglaise envoyée dans la Baltique en 1854 sous les ordres de sir Charles Napier. Cette escadre, armée à la hâte, dans un moment où les matelots anglais étaient distribués sur tous les points du globe, et alors que l’amirauté britannique ne voulait point avoir recours à la brutale extrémité de la press, avait vu ses équipages formés en majeure partie de soldats de marine et d’hommes ramassés de tous côtés, principalement de landsmen, hommes de terre. Avec des équipages ainsi composés, l’escadre fut condamnée à l’impuissance. Or les vaisseaux qui la composaient étaient tous des vaisseaux à vapeur, les soldats de marine étaient des hommes habitués à naviguer et rompus à la discipline, enfin les landsmen étaient des insulaires de la Grande-Bretagne, où tout le monde est plus ou moins familier avec les choses de la mer. Cependant cela ne suffisait pas : le marin, le vrai marin de naissance, d’éducation, d’habitude, manquait, et rien n’avait pu le remplacer. Ce qui est vrai pour les Anglais l’est à bien plus forte raison pour nous, que la nature n’a pas faits marins. Nous ne remplacerons jamais nos matelots par des soldats. Si nous cessons d’avoir des officiers identifiés par la pratique de toute leur vie avec la navigation, si nous cessons de trouver sur notre littoral assez de matelots de profession pour en faire le fond de nos équipages, nous cesserons de compter parmi les puissances navales, nous cesserons d’avoir la supériorité que l’assemblage de nos forces de terre et de mer nous donne sur les états du continent.

Jusqu’ici, Dieu merci, ni les officiers ni les marins ne nous ont manqué ; mais le nombre de ces derniers est restreint. Le chiffre total de notre population maritime, outre l’enfant et le vieillard, est seulement de cent mille hommes. Pour que ces cent mille hommes puissent suffire aux besoins de notre marine militaire, et même de notre marine marchande, il a fallu les placer sous des lois exceptionnelles, qui, pour notre malheur, sont fortement attaquées en ce moment. Et ce sont ces attaques qui jettent dans les rangs de notre marine une vive et légitime inquiétude. Une expérience de près de deux siècles nous a montré que ces institutions qu’on veut détruire ont permis jusqu’ici à la France d’entretenir une force navale considérable, tandis que ce qu’on propose de mettre à la place ne repose que sur de simples opinions, sur des calculs arbitraires. Il est facile de dire : Supprimez l’inscription, et vous verrez se développer à la fois notre navigation marchande et notre population maritime, et s’étendre par suite la pépinière dans laquelle nous recrutons nos équipages ; mais la preuve, où est-elle ? S’est-il passé