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et autres de ce débordement de la force non effective de la marine ; nous nous en tenons à ce qui a un rapport direct avec notre sujet. Or la conséquence de l’accroissement sans mesure de ces corps auxiliaires, c’est qu’ils ont travaillé à se rendre nécessaires en attirant à eux chaque jour des attributions nouvelles. Leurs chefs ont rempli le ministère de la marine, les comités, le conseil d’état. Ils sont toujours présens, toujours agissans, et pendant que les officiers de la marine portaient au loin le pavillon sur toutes les mers, ils se sont affranchis de tout contrôle, et du rang subalterne d’auxiliaires ils se sont élevés au premier rang. Comment le corps naviguant n’aurait-il pas été sensible à cet amoindrissement considérable de son autorité et de son importance ? Il ne s’agit pas seulement d’une rivalité de corps à corps ; un intérêt bien autrement sérieux se trouve ici engagé : c’est la responsabilité de nos officiers devant le pays, c’est leur honneur militaire, c’est leur juste souci de bien servir la France, qui est intéressé dans le nouvel état de choses qu’ils voient chaque jour tendre davantage à s’établir. L’armée de terre s’indignerait assurément si l’on confiait le soin d’étudier, d’expérimenter ses armes, de décider celles qui sont bonnes ou mauvaises, à d’autres que des officiers choisis dans son sein, parmi ceux-là mêmes qui auront à manier ces armes sur le champ de bataille. Il n’en est pas ainsi pour la marine, où cependant les leçons de l’expérience sont plus importantes que partout ailleurs. Cette expérience acquise au marin par l’étude journalière de son navire, de ses qualités et de ses défauts, par les comparaisons qu’il a pu faire sur les rades étrangères avec toutes les marines contre lesquelles il aura peut-être à se mesurer un jour, devrait lui donner manifestement une voix prépondérante dans tous les conseils et comités où se traitent les questions de construction et d’armement. A qui en effet, de ce marin ou du constructeur, est-il réservé de jouer sa vie sur les qualités bonnes ou mauvaises du navire qui vient d’être mis à la mer ? Qui de ce marin ou de l’artilleur devra répondre dans un jour de combat du service défectueux des canons ? N’est-il pas étrange que là où a été la faute ne soit pas la responsabilité ? Le génie maritime livre à nos officiers des navires construits et installés par des ingénieurs qui la plupart du temps n’ont jamais été en mer, sans qu’il soit souvent possible de redresser des erreurs que l’expérience a fait découvrir. Que de fois n’avons-nous pas entendu nos officiers se plaindre de percemens de sabords qui rendaient impraticable le service de l’artillerie, d’aménagemens intérieurs qui entravaient le maniement des canons et la rapide transmission des poudres ! Et combien d’autres erreurs, journellement signalées, qui ne s’en reproduisaient pas moins avec une imperturbable régularité de navires en navires,