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transports qu’il possède aujourd’hui, et qu’il pourrait prêter aux compagnies lorsqu’il s’agirait de faire voyager des chevaux, de l’artillerie ; mais son rôle dans cette partie si importante de notre service militaire ne serait plus qu’un rôle exceptionnel. La règle serait de se reposer de tous les mouvemens de troupes et de matériel sur la marine marchande. Si l’on se décidait à faire ce changement dans nos habitudes navales, nous croyons qu’on soulagerait notre corps d’officiers d’une des causes du malaise moral dont il est atteint.

Il y aurait encore à porter remède à une autre plaie, qu’on a déjà signalée avant nous, mais qui depuis ces derniers temps s’est tellement étendue, qu’elle est devenue comme un mal nouveau ; je veux parler du développement extraordinaire pris par tous les corps auxiliaires groupés autour du corps de la marine proprement dite, à mesure que celui-ci se trouvait dans un état de plus en plus maladif. On croirait voir ces plantes qui, s’attachant au tronc d’un arbre vigoureux, finissent par en absorber toute la sève : Ceci demande quelques mots d’explication.

A côté des officiers de marine chargés de conduire nos vaisseaux, de commander nos équipages, d’affronter, avec les chances assez rares des combats, les dangers journaliers de la profession, chargés enfin de remplir toutes les fonctions si diverses de la carrière maritime, ont existé de tout temps d’autres corps concourant à la formation et à la fabrication de cette force navale que manie l’officier de marine. Il y a le génie maritime, qui construit les navires, l’artillerie de marine, qui fait les canons, l’infanterie de marine, qui fournit les contingens aux expéditions de guerre, et enfin l’administration, qui tient les écritures. Or tous ces corps, par une force d’expansion qui leur est propre et qui n’est autre que cette maladie générale du fonctionnariat en progrès partout dans notre pays, ont marché de développement en développement jusqu’à prendre chacun une importance exagérée et hors de toute proportion avec leur service effectif. Nous nous garderons bien de fatiguer le lecteur de tous les chiffres dans lesquels cette étude nous a engagés[1]. Nous n’entrerons pas non plus dans le détail des inconvéniens financiers

  1. En nombres ronds, l’accroissement dont nous parlons de 1839 à 1865 a été :
    Officiers de marine 36 pour 100
    Administration 150 pour 100
    Génie 150 pour 100
    Troupes 183 pour 100


    Le personnel administratif, y compris les écrivains des ports, est aujourd’hui plus nombreux et coûte infiniment plus cher que le corps de la marine tout entier. Ainsi le personnel qui est chargé d’agir et de combattre coûte moins cher que celui qui est chargé d’enregistrer ses actes. Où s’arrêtera-t-on dans cette absurde progression ?