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de voir un de ces jeunes gens, devenu rapidement lieutenant de vaisseau, chargé inopinément des missions politiques et diplomatiques les plus délicates et s’en acquittant avec honneur. Combien aussi, investis avant trente ans de commandemens isolés, traversaient victorieusement cette épreuve de la responsabilité, devant laquelle tant de généraux succombent, et suffisaient à toute l’étendue de leur tâche par la réunion de toute la vigueur, du corps et de toutes les forces de l’intelligence la plus cultivée ! La carrière navale à cette époque offrait donc aux esprits supérieurs l’occasion de réaliser toutes leurs aspirations, et par suite elle avait un charme puissant qui les attirait à elle.

Survient la révolution causée par l’emploi de la vapeur comme moteur des navires. La flotte se transforme, mais après quelques hésitations on reconnaît que le rôle du marin, de l’officier en particulier, reste à peu près le même sur les nouveaux navires. Rien ne supplée à l’expérience des choses de la mer, au bon et prompt jugement acquis par l’éducation, et à cette science du commandement des hommes au milieu des solitudes de l’océan, dont l’officier de marine fait l’étude de toute sa vie. Les fonctions de commandant d’un navire à vapeur restent donc aussi importantes que celles de commandant d’un navire à voiles ; elles exigent seulement quelques connaissances de plus. Contemporain du grand développement de la marine à vapeur, l’usage du télégraphe électrique, si favorable à la centralisation, en étendant le bras du gouvernement là où jadis il fallait qu’il se fît représenter par sa flotte, constitue seul une bien faible diminution de la part d’action réservée aux officiers de mer. Jusqu’ici donc n’est rien changé.

La guerre de Crimée arrive, et avec elle commence un nouvel ordre de choses. Déjà le corps de la marine avait pu s’apercevoir que, ne pouvant prêter le genre d’appui donné par l’armée de terre à un gouvernement nouveau, il n’avait à attendre rien qui ressemblât à de la faveur. Ce n’était pas pour nos officiers une raison de servir avec un dévouement moins patriotique. Ils espéraient qu’une grande guerre allait leur fournir l’occasion de payer noblement leur dette à la France. La flotte porte l’armée en Orient et la débarque heureusement et habilement sur le sol ennemi ; mais là se borne sa coopération militaire à la lutte qui recommence, car le bombardement sans résultat du 16 octobre ne peut prendre rang à côté des brillantes batailles de l’Alma et d’Inkerman. Le siège de Sébastopol se prolonge, et pendant deux ans, alors que le monde entier est rempli de la gloire de nos soldats, nos marins sont employés sans repos et sans relâche au service pénible, périlleux même, mais parfaitement ingrat et complètement méconnu des transports militaires. Pendant deux ans, il leur faut journellement