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II

Si depuis la chute du premier empire l’Europe a joui d’une paix maritime dont tous les amis du progrès et de la liberté doivent désirer le maintien, cet état de choses a tenu à des causes plus profondes que l’accord nécessairement fragile et passager des hommes d’état, souverains et ministres qui ont eu dans leurs mains le pouvoir. Les institutions qui pendant trente ans ont permis à la France de vivre au grand jour ainsi que l’Angleterre, de vivre en un mot comme les peuples libres, ont certainement été la cause principale de l’apaisement des haines et des jalousies nationales. Une autre circonstance cependant est venue, selon nous, contribuer à la durée de la paix : c’est l’état de préparation à la guerre dans lequel chacun s’est tenu, et le respect qui en est résulté de part et d’autre. Ce respect réciproque n’a pas diminué aujourd’hui ; mais les erremens de la politique française ne sont plus les mêmes, et de la nouvelle situation faite à la France découle évidemment pour elle la nécessité d’être mieux préparée que jamais à passer de l’état de paix à celui de guerre, d’être en mesure de ne se laisser jamais surprendre par les événemens. On a vu comment ce malheur est arrivé au gouvernement des États-Unis, on a vu aussi par quels prodiges d’activité et d’énergie il a su donner en peu de temps à sa marine une remarquable efficacité. Ou nous nous trompons, ou ce que cette marine a accompli est une démonstration éclatante du rôle plus que jamais important réservé désormais dans les grandes guerres à la force navale. Sans doute nous verrons de moins en moins de nombreuses escadres : le temps des longues croisières et des combats de haute mer entre deux lignes de vaisseaux est passé ; mais la forme seule de la guerre est changée, non le fond. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que les mers devinssent une sorte de terrain neutre en dehors de l’arène des passions des hommes, il faudrait changer le caractère de l’humanité tout entière. De même, pour que l’emploi des navires cuirassés allât, comme nous l’entendons dire, jusqu’à rendre la guerre de mer impossible, il faudrait que l’artillerie se fût reconnue à jamais impuissante à les endommager, et que pour la première fois le génie humain eût produit une œuvre achevée, eût inventé un moyen d’attaque contre lequel il n’y ait point de moyen de défense. Écartons ces chimères. Il reste acquis aujourd’hui que non-seulement les forces navales peuvent porter à des adversaires des coups bien plus directs que par le passé, que non-seulement leur concours double la puissance des armées de terre, mais que tout pays ayant des frontières maritimes est maintenant exposé à des dangers qu’une flotte