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dont les noms ont rempli les journaux du temps, il s’en trouvait, comme la Florida, dont le cas était douteux. La Florida, en effet, avait bien été construite en Angleterre ; mais avant de faire la course elle avait été dans un port confédéré, à Mobile, et y avait pris son équipage. Il en était d’autres dont la condition était différente, et parmi eux le célèbre Alabama, qui, construit, armé et équipé en Angleterre, monté par des matelots en majorité anglais, n’avait jamais touché à un des ports du sud, ni changé de nationalité depuis le jour où il était sorti de Liverpool sous pavillon anglais. Celui-là n’était et n’a jamais été qu’un pirate ; mais, quelque fût le caractère de ces navires, le gouvernement américain eut un nouveau service à demander à sa flotte : celui de poursuivre, de capturer et de détruire ces écumeurs de mer, et cela au plus vite, car leurs déprédations étaient grandes, et plus grande encore, la terreur qu’ils inspiraient au commerce. Le mal qu’ils ont fait ne doit pas se mesurer seulement au nombre de leurs prises, mais au nombre bien plus considérable de bâtimens, naviguant jusque-là, sous pavillon américain, qu’ils ont amenés à se dénationaliser. Les choses étaient arrivées à ce point que ce pavillon, ne trouvant plus de fret à cause des risques de capture, avait presque totalement disparu des mers, au grand avantage du pavillon anglais qui l’avait remplacé presque partout[1]. Il y a même des personnes qui pensent que la disparition, même momentanée, du pavillon américain, rival jusqu’alors plus heureux chaque jour de celui de l’Angleterre, a été pour cette puissance plus qu’une compensation à la gêne causée par la disette cotonnière.

On comprend de quelle importance il était pour le gouvernement fédéral de se délivrer de ces importuns croiseurs, et on est obligé d’avouer, qu’il s’est assez mal acquitté de cette tâche. Il n’y a pas consacré assez de navires, et a mis trop peu d’activité soit à en créer qui fussent appropriés à ce service, soit à en tirer parti. Il n’a rien moins fallu, pour réparer ce tort, que le brillant combat du Kearsage et de l’Alabama, dans lequel a triomphé encore une fois la supériorité des gros canons jointe à celle de la discipline. Ce qui reste acquis pour l’observateur étranger, c’est le résultat du premier emploi des navires à vapeur dans la guerre de course. Les plus grandes puissances maritimes, dans leurs querelles avec des puissances inférieures, si elles ne veulent voir leur commerce détruit par quelques croiseurs à la marche légère, sont obligés de se pourvoir d’une force considérable d’avisos rapides, armés d’une ar-

  1. Dans le cours de l’année 1863, 608 navires américains représentant 328,665 tonneaux se sont faits anglais.