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les bouches, et pendant ce moment d’hésitation l’ennemi redouble son feu. Bientôt on voit le monitor Tecumseh, qui marchait en tête, s’enfoncer dans les flots, et avec une telle soudaineté que de son vaillant équipage douze hommes seulement peuvent se sauver à la nage. Les torpilles étaient à l’œuvre, l’instant était critique. Le brave Farragut n’était pas homme à s’intimider. Il avait consenti à regret, sur les instances de ses capitaines, à ne pas affronter le premier avec son navire les dangers si multiples que l’on avait à courir. « Mais en voyant le Tecumseh disparaître, dit-il dans son rapport, je me décidai immédiatement, comme je l’avais voulu en premier lieu, à prendre la tête, et, après avoir ordonné au Metacomet d’envoyer une embarcation pour sauver, si c’était possible, quelqu’un de l’équipage qui se perdait, je portai le Hartford en avant, suivi par le reste de l’escadre, dont les officiers croyaient suivre leur chef à une noble mort. Je gouvernai droit entre les bouées, là où on supposait que se trouvaient les torpilles… » Heureusement, comme l’amiral en avait l’espérance, elles avaient été dérangées pour avoir trop longtemps séjourné dans l’eau, et elles ne frappèrent aucun autre de ses navires. Continuant à couvrir de mitraille les batteries ennemies, l’escadre, poussée par sa vitesse et la marée de flot, n’en reçut que peu de dommage. Il n’y eut de sérieusement atteint que le navire de queue, qui eut sa chaudière et sa machine désemparées par l’explosion des obus, et ne dut son salut qu’à la précaution prise d’amarrer les navires deux à deux. Sa conserve l’entraîna hors du danger.

La passe était forcée, mais on se trouve en face d’un nouvel ennemi et d’un nouveau péril : l’amiral Buchanan est là avec sa flottille ; c’est contre elle qu’il faut continuer le combat. Farragut détache une partie de ses forces contre les petits bâtimens qui la composent, et concentre les efforts de ses plus grands navires contre le redoutable ram Tennessee. Quatre fois, dans l’espoir d’enfoncer son travers, il le fait aborder à toute vapeur par sa propre corvette, le Hartford, dont il a garni l’avant d’un taille,mer en fer, et par la Monongahela et la Lakawanna, armées de même, mais toujours sans succès. D’affreux craquemens se font entendre, le ram s’incline sous le choc ; les matelots s’injurient des deux côtés, se jettent des pierres à briquer par les sabords, et déchargent leurs pièces à bout portant les uns contre les autres. Les résultats de ces décharges sont terribles à bord des navires fédéraux ; mais ils semblent à peine sensibles sur le ram, qui a reçu sans apparentes avaries toute la bordée du Hartford, composée de boulets pleins de 9 pouces, à la charge de 13 livres, à dix pieds de distance. Ces lourds projectiles laissent une marque plus ou moins profonde,