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un troisième destiné à opérer dans des conditions exceptionnelles, et dont la carrière est intéressante à suivre.

Il existe le long du littoral de la Caroline du nord une bande de sable derrière laquelle se trouve une véritable mer intérieure de plus de cinquante lieues de longueur, connue sous les noms d’Albermale-Sound et de Paùmoco-Sound. Cette mer pénètre par de nombreux bras dans les terres ; au fond des bras de mer se trouvent des rivières profondes sur les bords desquelles des villes se sont fondées, reliées par des chemins de fer à toutes les parties de la confédération. Cette mer intérieure communique avec le Grand-Océan par de nombreuses passes ouvertes dans la langue de sable dont nous avons parlé ; mais ces passes sont très peu profondes : elles admettent un coureur de blocus ou une canonnière de faible tirant d’eau, mais le monitor lui-même ne peut s’y aventurer. Il y avait là des avantages naturels très grands pour le commerce de contrebande, et pour la répression des difficultés de tout genre à surmonter. Aussi, dès le début de la guerre, les fédéraux s’étaient-ils emparés, après plusieurs combats, de celles de ces passes qui pouvaient être occupées et défendues ; aussi avaient-ils fait entrer dans la mer intérieure une flottille qui, aidée d’un corps de troupes, avait fermé tout ce vaste espace à la contrebande. De leur côté, les confédérés étaient très jaloux de se débarrasser de ce voisinage incommode, et, profitant de l’impossibilité où étaient les fédéraux de se servir dans ces parages de leurs bâtimens cuirassés, qui ne pouvaient frauder l’entrée, ils avaient construit dans l’une de leurs rivières, le Roanoke, un ram nommé l’Albermale, de la même famille que les deux dont nous venons de parler, et ils fondaient sur ce navire les plus grandes espérances. Au mois d’avril 1864, l’Albermale apparaît et commence sa carrière en attaquant deux canonnières qui aidaient à la défense d’un poste fédéral appelé Plymouth, alors assiégé par les forces sudistes. Le lieutenant Flusser, qui commandait ces deux canonnières, ne se laisse pas intimider par la vue de son formidable ennemi, et n’hésite pas, malgré sa faiblesse, à marcher contre lui. Si ses deux canonnières sont du plus faible échantillon, elles portent une artillerie puissante : des canons rayés de 100 et des canons lisses de 11 pouces. Peut-être cette artillerie, employée à bout portant, réussira-t-elle à enfoncer la carapace du ram. Il se borne à prendre la précaution d’enchaîner ensemble ses deux navires, afin que, si la machine de l’un d’eux est désemparée, celle de l’autre reste pour les mouvoir tous les deux. Cela fait, il se porte à toute vapeur contre l’ennemi, afin de demeurer le moins longtemps possible exposé à son feu. Les deux adversaires s’abordent ; le choc est si violent que le Southfield, l’un