Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/789

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple fantaisie du génie aventureux des Américains. Rien n’est plus inexact. Les deux monitors qui ont sombré étaient les premiers construits, et avaient des imperfections de détail qui ont été corrigées chez leurs successeurs. Depuis, la flotte des monitors a navigué sans accident de l’Océan dans le golfe du Mexique, et, ce qui est plus remarquable encore, lors de l’attaque de Wilmington, elle a étalé (pour me servir du mot technique) avec aisance un terrible coup de vent qu’elle a reçu à l’ancre, en pleine mer, à la hauteur du cap Fear, et qui a forcé à prendre le large plusieurs des grands navires de l’escadre. Ne dénigrons pas les monitors, ils sont des adversaires dignes d’une sérieuse considération. Sans doute ils ne feront pas les navigations que peuvent faire la Gloire et le Solferino, et ils ne rendront pas le même genre de services ; mais sur les côtes américaines ils sont des moyens de défense très ingénieusement imaginés et très puissans. Si jamais la France ou l’Angleterre étaient engagées dans une lutte, que rien ne donne lieu de prévoir, contre les États-Unis, elles n’auraient rien à leur opposer dans les eaux peu profondes où ils se tiendraient, et il y aurait danger pour le Solferino et le Warrior à être attaqués dans les passes étroites des mers d’Amérique par un essaim de monitors.

Mais revenons au ram confédéré que nous avons laissé sortant des passes de Savannah, accompagné de deux bateaux à vapeur chargés de curieux, empressés sans doute d’assister à la déconfiture des Yankees. Leur attente devait être déçue. Deux monitors fédéraux placés en sentinelle aperçoivent le ram, et appareillent immédiatement pour marcher à sa rencontre. Le premier des deux, le Weehawken, commandé par le capitaine Bodgers, prend seul part au combat. Sans se soucier de la supériorité apparente de son colossal adversaire, sans s’occuper du feu dirigé sur lui avec les canons rayés de 7 pouces de l’ennemi, le Weehawken envoie à 300 mètres un coup de canon de 15 pouces dont les effets sont terribles. Bien qu’il frappe sous un angle aigu la muraille du ram, épaisse de 4 pouces de fer et de 18 pouces de bois, et bien que cette muraille soit inclinée de 29 degrés, telle est la violence du choc que fer et bois sont enfoncés, plusieurs hommes tués et blessés, et quarante renversés par la vibration. Toujours marchant en avant, le Weehawken lance trois autres boulets dont les effets sont également désastreux, et il s’apprêtait à poursuivre vigoureusement son avantage, lorsque son adversaire se rend après quinze minutes seulement de combat, laissant la victoire au plus petit navire et au plus gros canon.

Nous venons de voir deux de ces formidables rams dont on n’a plus rien à craindre, grâce aux monitors ; mais il s’en construisait