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colons romains d’une part, les indigènes maures et numides de l’autre. Espérons que ces compositions seront traduites et publiées dans le prochain livre jaune pour l’instruction et l’édification, du sénat et du corps législatif, quand il s’agira de discuter les affaires africaines. Heureux, parmi les jeunes concurrens celui qui aurait pu lire le mémoire confidentiel de l’empereur dont il a été récemment question ! Celui qui serait assez fort en thème pour mettre ce mémoire en latin aurait certainement le prix. Tout cela est curieux, singulier, mais innocent. Ce que nous ne pouvons voir avec la même indulgence, c’est la thèse sur l’éloquence par laquelle il faut prouver que l’art oratoire sous l’empire des césars, ne pouvant plus servir d’instrument aux passions anarchiques, a encore devant lui une vaste et noble carrière. C’est à des Quintiliens de dix-huit ans que M. Duruy impose le développement de ce paradoxe. Le ministre étant dans la voie des allusions historiques, nous nous inscrivons contre l’assimilation qui est enveloppée dans le sommaire de la dissertation proposée. N’est-ce pas faire injure à la France et calomnier notre temps que de s’attarder dans cette fâcheuse comparaison de la France contemporaine avec l’ère des césars ? N’est-ce pas manquer de bonté envers la jeunesse française que de ternir son imagination et d’éteindre ses espérances en lui montrant l’avenir sous la forme d’un pareil passé ? Abandonnez ces rêveries aux excogitations excentriques de quelque politique érudit énamouré de latin de décadence. M. Sainte-Beuve, en parlant un jour de cette thèse à propos d’un livre de M. Troplong, appelait cela d’un gros mot : « c’est, disait-il, de la littérature d’état ; » mais le gros mot était évidemment tout gonflé de raillerie. Littérature d’état, soit. M. Duruy semble croire que le pouvoir a une grande influence sur la littérature ; il est en cela du même avis que Napoléon. Un jour que l’empereur était vexé de l’ineptie d’un dithyrambe qui avait été débité en son honneur sur un théâtre de Paris, il écrivait avec une naïve colère au personnage que l’histoire appelle le sage prince Cambacérès : « On se plaint que nous n’avons pas de littérature ; c’est la faute du ministre de l’intérieur ! » Si le ministre de l’intérieur de ce temps-là avait eu l’esprit de celui d’aujourd’hui, il eût bien ri de l’apostrophe ; mais, puisque M. Duruy a entrepris sérieusement d’initier la jeunesse à la littérature politique, qu’il évite du moins de faire chercher à nos jeunes gens leur horoscope politique et littéraire dans l’histoire de la décadence d’un vieux peuple païen. Que dirait M. Duruy, si sur les bancs de nos classes de rhétorique une jeune âme, un jeune esprit, ému de cette générosité que les premières révélations de la culture littéraire encouragent et ennoblissent, répondait au défi du sujet de composition en défendant la thèse contraire, qui est la vraie, si le jeune élève soutenait que le testament d’Auguste n’est point un programme dont se puisse inspirer l’éloquence qui se respecte et se fait respecter, s’il montrait que les discours prononcés au sénat n’ont plus intéressé l’humanité et n’ont point été conservés à la