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avait inscrits prudemment sur ses propres listes. Il est résulté de cette combinaison que les noms portés à la fois par l’opposition et par l’administration sont sortis triomphans des urnes au premier tour de scrutin. Aussitôt les journaux officieux se sont hâtés d’attribuer sans explication ces succès aux listes administratives ; mais les éclaircissemens sont vite arrivés, et il s’est trouvé que dans des cas semblables, comme à Grenoble par exemple, c’étaient les listes de l’opposition qui avaient passé à peu près entières, ne laissant à un petit nombre de candidats administratifs que la chance désespérée d’un second tour de scrutin. Il se trouve donc en définitive que, dans un grand nombre de municipalités et dans les villes les plus considérables, l’opposition, qui n’était pas représentée dans les conseils, y aura la majorité. C’est là qu’est le profit en quelque sorte matériel obtenu par l’opposition. Le profit moral est plus grand. Les victoires de l’opposition ont été remportées surtout dans les grandes villes, dans les centres intellectuels, dans les foyers où les intérêts locaux et l’exercice du droit de contrôle sur la direction des affaires municipales se rapprochent davantage des intérêts généraux, et réclament un plus large développement d’esprit public. Sans doute un grand nombre de petites communes rurales ont été tenues en dehors de la lutte et sont demeurées dociles au patronage administratif. L’opposition, à propos d’élections de cette nature, ne pouvait aspirer à conquérir la majorité de nos quarante mille communes. Il y a toujours dans de pareils débats une distinction à faire entre la quantité et la qualité : il y a d’un côté les moines, comme disait Pascal, et de l’autre côté les raisons. L’administration a conservé l’empire des moines ; nous avons les villes où l’on raisonne. En somme, au point de vue matériellement arithmétique, l’opinion libérale a beaucoup gagné à ces élections ; elle a gagné plus encore au point de vue moral par l’importance des intelligentes et industrieuses cités qui ont adopté ses candidats.

Nous ne voulons rien exagérer, car il n’y avait pas, à proprement parler, dans ce renouvellement des conseils municipaux une lutte d’ascendant politique entre le gouvernement et l’opposition. Nous regardons surtout ce mouvement électoral comme un symptôme et un enseignement qui peuvent être aussi instructifs pour le gouvernement que pour l’opposition libérale. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour inviter le gouvernement à bien comprendre le sens de l’acte représentatif accompli par le pays, que l’administration avait pris à l’endroit des dernières élections une attitude prudente et calme. Le gouvernement n’a pas eu l’air de vouloir dominer ces élections et les emporter de haute lutte. Il a semblé être revenu de ces susceptibilités, de ces défiances, de cet orgueil maniaque d’initiative, qui portaient, il y a quelques années, M. Billault à engager les maires à ne pas subordonner leurs fonctions aux chances électorales. Dans la dernière session, M. Rouher avait annoncé déjà que le gouvernement était résolu à choisir les maires parmi les conseillers municipaux. Les instructions de