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de musique la mise en vigueur de cette clause ? Nous ne voyons pas pourquoi le répertoire de Meyerbeer aurait seul le privilège de ces affronts qu’on a voulu à si bon droit épargner aux tragédies de Corneille et aux comédies de Molière. Ce n’est encore que lamentable ; un pas de plus, on tomberait dans le bouffon, et la musique des Huguenots n’a point précisément pour objet de faire rire son auditoire. Lamentable en effet cette reprise des Huguenots, un désarroi complet, la confusion des langues, une Babel ! Encore si la critique avait où se prendre, s’il ne s’agissait que de chanteurs à réformer ; mais non, l’incurie a été poussée si loin que tout se détraque, s’écroule. Il faudrait oublier pour rapprendre. La désorganisation est dans les masses comme dans les individus, elle s’étend de cet orchestre qui s’empâte à ces chœurs qui ne vont plus ensemble ; les décors sentent l’huile, les costumes suent la friperie. Chacun arrive là, qui du midi, qui du ponant, débite son rôle dans sa langue, dans son jargon, puis se déshabille, et le surlendemain on recommence. Il était facile de prévoir ce que ferait M. Villaret du personnage de Raoul. Aux conditions de jeunesse, d’élégance et de chevalerie qu’impose un pareil caractère, l’embonpoint du chanteur, son inexpérience dramatique, répondaient d’avance assez mal. Sa voix convient-elle mieux à la partie musicale ? Oui sans doute ; mais cette voix manque, elle aussi, presque toujours de liberté dans ses mouvemens. Une voix agile dans un corps agile, voilà ce qu’il faudrait d’abord avoir pour chanter Raoul, car toute illusion demeure compromise, toute espèce d’intérêt devient impossible, si l’amant de Valentine, au lieu d’obéir à l’entrain immédiat de sa passion, est obligé de préparer à distance le son qu’il va émettre, de se rassembler comme un cheval qui s’apprête à sauter la barrière. A la fin du duo du quatrième acte, ce cri sublime de Raoul, Dieu, veille sur ses jours ! veut être poussé dans le désordre et l’égarement, et non point en prenant des temps pour se ventiler le poumon. — Mlle Lichtmay, qui ce soir-là chantait Valentine, nous arrive d’Allemagne par Liège et Gand. Il y a quelques mois, cette personne, à ce qu’on assure, ne savait pas un mot de français. Il convient donc de ne point lui reprocher trop durement l’affreux barbarisme de sa diction. C’est une belle voix, un beau métal, mais de nature trop explosible : toujours de la force, de l’éclat, une implacable plénitude dans le son qui rappelle les mœurs de l’ancien opéra classique. Cette voix, d’une vibration stridente, cuivrée, n’aspire d’ailleurs qu’à monter, et déjà se sent moins à l’aise dans les notes du médium. On peut donc renoncer avec elle à cet alliage du contralto qui fit l’originalité d’organe des Falcon, des Stoltz, des Cruvelli, et dont Meyerbeer, écrivant ce rôle, semble avoir eu souvent en vue les grands effets. Ne négligeons pas cependant de tenir compte à Mlle Lichtmay de certaines heureuses rencontres. Elle chante avec une remarquable justesse d’intonation le magnifique andante à la Mozart de son duo avec Marcel au troisième acte, et j’ai cru aussi saisir au quatrième une intention dramatique d’un bon exemple dans la manière dont cette