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ne voient que de chez Pluton leur astre se lever sur cette terre qu’ils ont en vain pendant un quart de siècle essayé d’émouvoir de leurs chants, et qui n’a voulu que leurs larmes. Halévy mort, c’est à qui l’oubliera. De ses nombreuses partitions, à peine si quelques amis savent encore les titres. Au répertoire de l’Opéra, la Juive, tant bien que mal, subsiste, mais de Guido et Ginevra, de Charles VI, du Juif errant, de la Reine de Chypre, de la Magicienne, plus une seule note. Il laisse une partition de Noé ; qui s’en occupe ? Essayez un peu d’en aller parler aux gens que cela regarde, et ces gens-là vous répondront comme Louis XIV : « Otez-moi ce magot de devant les yeux ! » En revanche, d’Hérold aujourd’hui tout nous est bon. Si la vie parfois lui fut ingrate, la mort affecte à son égard des cajoleries sans pareilles. On a repris les Rosières, le Muletier ; on reprend Marie. Naguère ne fut-il pas question de transporter à l’Opéra l’Illusion, un petit acte de la plus inoffensive médiocrité ? Et la Clochette, dont nous ne parlons pas, et qui elle aussi veut avoir son tour, et s’écrie par la voix de son génie : et Me voilà ! » Et le Lapin blanc, et Emmeline, et la Médecine sans Médecin, vous verrez que tout y passera, jusqu’à Charles de France, qu’avec un peu de bonne volonté on pourra aussi reprendre dans l’occasion.

Hérold eut cette chance particulière, que sa mort hâtive, pour lui déjà si féconde en bienfaits, ouvre encore aux conjectures de ses admirateurs des perspectives innombrables. « Que n’eût-il point fait s’il eût vécu ! » c’est ce qu’on ne se lassait pas de dire aux beaux jours de la découverte d’André Chénier, quand M. Sainte-Beuve se montait la tête pour ce continuateur d’Homère et de Théocrite. Hérold, en attendant, végétait, soucieux, maladif, usant à des travaux d’employé les restes d’une ardeur qui pourtant ne devait pas s’éteindre sans avoir jeté un dernier éclat. Le poème de Zampa, dramatique si l’on veut par endroits, mais d’une insupportable boursouflure, décousu, ennuyeux surtout, passait généralement pour avoir compromis le succès de la musique. La sensibilité, le naturel, étaient, disait-on, les vraies qualités du talent d’Hérold ; Il fallait y revenir, laisser là les orgues, le pathos, faire de l’opéra-comique. Entre librettiste et musicien, les affinités sont souvent plus vives qu’on ne pense. Hérold croyait avoir trouvé son Sedaine dans Planard, l’auteur de Marie, un moment abandonné pour M. Mélesville, l’auteur de Zampa. Il se reprocha son infidélité, refit ménage, et de cette nouvelle rencontre de deux esprits qui se convenaient naquit le Pré aux Clercs.

Ce fut le chant du cygne, déjà le mal qui devait l’emporter le travaillait. Il mit dans cette partition toute sa vie, toute son âme : on croirait voir Weber écrivant Oberon. Même découragement, même souffrance physique, presque les mêmes traits. Contemplez son buste au foyer de l’Opéra-Comique. Ce visage en lame de couteau, ces pommettes fiévreuses, ces lèvres minces que tourmente un sourire inquiet, ombrageux, ce nez long décidant à lui seul de l’expression de la physionomie, comme chez les musiciens le cas se remarque, — on ne se représenterait pas autrement Weber.