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d’Auber, et qui, sous la poussière des archives, conserve inaltérés ses trésors de jeunesse et de beauté : tout le contraire de ces productions de fabrique ordinaire, de ces articles de haute fantaisie auxquels le succès assigne une date ! A ces choses-là il faudrait se garder de jamais toucher, car au moindre choc avec l’opinion elles s’écroulent vermoulues. De ce que quelques bribes mélodiques avaient survécu dans la mémoire des uns et des autres, on en conclut à l’utilité d’une complète remise au théâtre, et la lumière de la rampe donne à toutes ces grâces du passé un air de vétusté qui vous attriste. Mieux leur valait cent fois la pénombre du souvenir. Je citerais çà et là diverses phrases qui généralement passent pour des inspirations délicieuses, et dont le sentiment n’est en somme qu’afféterie pure, — Une robe légère par exemple, cantilène que Chollet, à ce qu’on raconte, débitait avec une fraîcheur de voix, une suavité vraiment idéale, et qui sans nul doute a dû emprunter beaucoup de sa réputation au maniérisme du virtuose de 1826. Chollet, pour qui cette musique fut écrite, avait un de ces organes excentriques qui peuvent faire dans le moment la fortune d’un ouvrage, mais qui trop souvent en rendent par la suite l’exécution impossible. Ces ténors qui donnent le si grave, ces barytons qui ténorisent, sont à coup sûr des objets d’art d’un haut intérêt ; mais le musicien trop curieux qui s’y laisse prendre risque bien souvent plus tard d’avoir à payer cher sa fantaisie. Martin et Chollet ont ainsi emporté avec eux tout un répertoire. Néanmoins cette partition de Marie, incolore et froide, contient un morceau de maître, le sextuor du troisième acte. Rien de plus simple, de mieux trouvé que le partage des voix sur cette mélodie d’accompagnement à la fois vive et tendre, et qui s’est déjà délicieusement produite dans l’ouverture. M. Auber a repris cet effet dans le charmant quintette des Diamans de la Couronne, où la phrase mélodique, également proposée d’abord par l’ouverture, revient également pour soutenir et commenter les entrées et le dialogue des personnages, on connaît avec quelle délicatesse de touche, quel art exquis, surfin ! Cela n’ôte rien au mérite du sextuor de Marie, page musicale d’un modèle parfait, bien sentie, bien écrite, et qui pour la première fois vous montre l’artiste auquel instinctivement vous pensez quand on nomme Hérold.

Cet artiste, c’est l’auteur de Zampa et du Pré aux Clercs. En écrivant, il s’était formé, mais avec quelle lenteur, quelle peine ! Cette aptitude qu’il avait pour la science, ce grand sens de l’école qu’il tenait de Méhul, au lieu de tourner à son profit, lui nuisirent longtemps devant le public. Comment se recueillir ? Il fallait travailler pour vivre, se dépenser au jour le jour. Donizetti, génie également imitateur, et qui, par maint côté, rappelle Hérold, eut aussi dans sa première période à payer tribut aux nécessités de l’existence. Qui dit pauvreté dit dépendance, impossibilité pour un artiste de rompre en visière au mauvais goût régnant, de braver la mode. Avec Zampa, Hérold trouvait sa vraie note. Vous saisissez là tout entier ce Français d’origine allemande, et que le rossinisme affole. De