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Kong, comme il en eut, dit-on, l’intention, avait quitté Pékin, préférant tout abandonner à la destinée plutôt que d’assister à un spectacle qui était pour lui, comme pour l’empereur, un affront à la fois national et personnel ? Il savait que l’armée ne pouvait passer l’hiver à Pékin ; il aurait donc été obligé de s’éloigner sans avoir traité et de rétrograder vers Tien-tsin, si même, avec l’éloignement forcé des escadres, la position de Tien-tsin eût paru tenable. C’était l’inconnu, et un inconnu plein de périls. Bien plus sage était assurément la politique du baron Gros, qui, tout en jugeant qu’il était nécessaire d’exiger satisfaction pour l’attentat du 18 septembre, ne voulait point pousser les choses au point d’inspirer au prince Kong des résolutions désespérées. Quant à l’effet moral, est-ce que les deux batailles de Chang-kia-wan et de Pa-li-kiao, la fuite de l’empereur, la présence du drapeau étranger au cœur de l’empire, et par-dessus tout la prise de Pékin, ne suffisaient pas pour laisser dans l’esprit des Chinois le souvenir ineffaçable de leur défaite et de leur humiliation ? La prudence conseillait donc de s’en tenir là, de saisir la paix qui s’offrait d’elle-même après tant de difficultés et de traverses, et de clore enfin une campagne qui militairement ne pouvait plus se prolonger. La politique violente de lord Elgin ne devait se justifier que par le succès ; en cas d’échec, elle eût été désastreuse. La politique modérée du baron Gros était, dans toutes les hypothèses, la plus sûre : elle conservait les résultats acquis sans compromettre l’avenir, elle arrivait naturellement au but par la conclusion d’une paix honorable, qui permettait le départ immédiat des troupes alliées.

Le 22 octobre, les indemnités convenues pour les prisonniers et pour les victimes de Tong-chaou furent exactement payées entre les mains des délégués anglais et français. Le 24 eut lieu dans Pékin, entre le prince Kong et lord Elgin, la signature de la convention anglaise, suivie de l’échange des ratifications du traité de 1858. Lord Elgin, accompagné d’une nombreuse escorte, n’arriva au rendez-vous que deux heures trois quarts après l’heure fixée. Le prince Kong eut à l’attendre. L’entrevue fut des plus froides. L’ambassadeur anglais exigea qu’à la suite du traité le prince écrivît un certificat attestant que le sceau apposé était bien celui qui engageait définitivement et sans réserve l’empereur de Chine, formalité insolite, blessante, au sujet de laquelle il avait consulté le baron Gros, qui, pour sa part, ne la jugeait pas nécessaire. — Le lendemain 25, on procéda aux mêmes formalités pour les actes intervenus entre la France et la Chine[1]. Autant lord Elgin s’était

  1. Voici le résumé du traité de Pékin (25 octobre 1860) : « 1° l’empereur de Chine exprime ses regrets au sujet des événemens survenus à Takou en juin 1859. 2° L’ambassadeur français sera reçu à Pékin avec tous les honneurs dus à son rang pour l’échange des ratifications du traité de Tien-tsin. 3° Le traité de Tien-tsin (du 27 juin 1858) sera fidèlement exécuté immédiatement après l’échange des ratifications. 4° L’indemnité de 15 millions stipulée par le traité de Tien-tsin est portée à 60 millions, qui seront payés au gouvernement français en plusieurs termes, dont les dates sont fixées. 5° Les établissemens religieux et de bienfaisance qui ont été confisqués seront rendus aux chrétiens. 6° La ville et le port de Tien-tsin sont ouverts au commerce. 7° Les troupes françaises évacueront Chusan. 8° Un édit impérial consacrera, pour les Chinois, la faculté d’émigrer et de s’embarquer sur des bâtimens français. 9° Le droit de tonnage pour les navires français est abaissé au même taux que pour les navires américains. » Le traité relate avec détail les époques et les conditions auxquelles les troupes françaises se retireront successivement de Pékin, de Tien-tsin, de Takou, etc.