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néralement douces, possède les plus cruels bourreaux. Évidemment les ambassadeurs ne pouvaient laisser impunis des actes qui soulevaient autour d’eux la plus véhémente indignation ; l’opinion publique, en France et en Angleterre, n’aurait pas compris qu’ils s’en fussent tenus purement et simplement aux stipulations primitives, alors que le gouvernement chinois s’était rendu coupable d’une nouvelle violation du droit des gens, d’un véritable attentat. Le baron Gros et lord Elgin furent d’accord sur le principe d’une indemnité pécuniaire à réclamer des Chinois pour les prisonniers et pour les familles des victimes. L’ambassadeur français jugea en outre qu’il pouvait s’autoriser des circonstances pour réclamer la restitution des anciennes églises et des cimetières de Pékin, qu’un édit de l’empereur Tao-kouang en 1845 avait promis de rendre aux chrétiens, et qui, malgré cet engagement, étaient demeurés frappés de confiscation. L’ambassadeur anglais approuva cette demande en annonçant que, de son côté, il exigerait la cession à l’Angleterre, en toute propriété, d’un petit territoire (Kou-long) qui forme l’extrémité de la province de Canton, et qui n’est séparé de l’île de Hong-kong que par un étroit canal. Déjà l’Angleterre avait la jouissance de ce coin de terre en vertu d’un bail indéfini, et elle y avait fait quelques travaux de fortifications. Par conséquent il ne s’agissait que de régulariser un état de choses existant : le territoire n’avait par lui-même aucune importance ; cette acquisition ne pouvait couvrir aucun projet de conquête ; elle ne devait point rencontrer de difficultés de la part des Chinois, et la France n’avait pas à s’en inquiéter.

Le baron Gros pensa que ces conditions, sans être suffisantes en regard de l’attentat qui les motivait, étaient les seules que l’on pût obtenir immédiatement. Lord Elgin exprima un avis contraire : il voulait une vengeance plus éclatante, constatée par des actes qui fussent de nature à laisser dans l’esprit du gouvernement et du peuple chinois une impression durable. Il proposa d’abord de faire hiverner l’armée à Pékin, afin de prolonger l’humiliation qu’infligeait à l’orgueil de l’empereur la présence de troupes étrangères dans la capitale ; mais le général Montauban et sir Hope Grant lui-même se montrèrent absolument contraires à ce projet en déclarant qu’ils n’acceptaient point la responsabilité d’un hivernage à Pékin, et qu’ils comptaient opérer vers le 1er novembre au plus tard leur retour vers Tien-tsin. Lord Elgin demanda ensuite que l’on détruisît dans Pékin le palais impérial, dont les ruines attesteraient le passage et la vengeance des alliés : les généraux s’y opposèrent encore. C’était à eux que la porte de Pékin avait été livrée, ils s’étaient engagés à maintenir l’ordre et le respect des proprié-