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variablement : « Éloignez vos troupes, signons le traité, et les prisonniers seront rendus. » Cherchait-il à gagner du temps ? voulait-il garder entre ses mains un gage qui arrêtât la marche des alliés ? ou bien, ne pouvant représenter tous les prisonniers, parce qu’une partie avait péri, désirait-il engager les ambassadeurs par la signature de la convention avant qu’ils ne connussent l’affreuse vérité ? Cette obstination, ces manœuvres dilatoires, ces protestations pacifiques accompagnées de menaces, la crainte de compromettre la vie des prisonniers, l’avis du départ de l’empereur, « qui venait de quitter sa capitale pour se rendre aux chasses d’automne conformément à la loi » (c’était ainsi que s’exprimait le prince Kong), tout cela créait à lord Elgin et au baron Gros une situation vraiment intolérable, et, pour surcroît de difficulté, les munitions attendues de Tien-tsin n’arrivaient pas ! Les jours se perdaient en correspondances vaines, et, dans cette lutte à coups de plume et de pinceau, la diplomatie chinoise se démenait, souple et insaisissable, dans le cercle étroit où la diplomatie européenne s’appliquait à l’enfermer. Le canon seul pouvait avoir raison de tout ce verbiage, qui décourageait les ambassadeurs et impatientait les généraux.

Enfin le 4 octobre au soir parurent les convois de Tien-tsin. Dès le 5, les troupes alliées, au nombre de huit mille hommes, commencèrent leur mouvement et vinrent camper à cinq kilomètres de la face est de Pékin. Le 6 octobre, elles se portaient rapidement vers le nord de la ville, où l’on disait que l’armée tartare, sous les ordres de San-ko-lin-sin, occupait une position fortifiée. L’armée tartare avait disparu. La colonne française s’élança à sa poursuite, et elle arriva le soir devant le palais d’été de l’empereur (Yuen-min-yuen), qui fut escaladé par deux compagnies d’infanterie de marine et occupé pendant les journées du 7 et du 8 octobre par les troupes du général Montauban. Nous laisserons aux amateurs d’antiquités et de chinoiseries le soin d’admirer les merveilles accumulées dans ce palais, ou plutôt dans cette cité aux mille palais, résidence favorite des empereurs de Chine, qui y avaient accumulé depuis des siècles toutes les splendeurs et toutes les délicatesses de leur luxe ; mais, au milieu de ces trésors étalés dans des salles dignes de les abriter, les regards des vainqueurs furent cruellement attristés par la découverte de vêtemens que l’on reconnut pour être ceux de quelques-uns des prisonniers retenus par les Chinois dans la journée du 18 septembre. Plus de doute ! ces vêtemens n’étaient plus que des dépouilles dont peut-être l’empereur de Chine comptait orner son palais comme d’un trophée ! Maintenant l’empereur était en fuite vers la Tartarie, où la vengeance ne pouvait l’atteindre. C’était dans sa capitale qu’il fallait frapper, non plus sa personne,