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piers de l’empereur : l’empereur les a lues et annotées ; mieux encore, il a tenu compte des avis qu’elles contenaient. Encore un usage, une tradition de la vieille Chine ! Chacun a le droit d’adresser, à genoux, des conseils et des reproches au trône impérial, et nous voyons que ce droit, signalé par les missionnaires jésuites du XVIIe siècle, n’est pas tombé en désuétude. C’est qu’en effet, dans la théorie du gouvernement chinois, il n’existe point de maître ni de sujets : il n’y a qu’une grande famille, au sein de laquelle les enfans peuvent faire entendre leur voix respectueuse devant le père et contredire en obéissant[1]. En présence des avis qu’il venait de recevoir, l’empereur rendit le 13 septembre un décret par lequel il notifia sa volonté. Renonçant à se rendre à Jehol, il donnait des ordres pour renforcer la garnison de Pékin, et il annonçait que, si les ennemis livraient bataille près de Tong-chaou, il irait prendre le commandement d’une armée considérable qui serait réunie dans le nord de Pékin ; il exprimait d’ailleurs la pensée que les barbares, au nombre de dix mille hommes seulement, seraient complètement écrasés.

Ainsi le 13 septembre, au moment où le prince Tsaï, succédant à Kouei-liang, entrait en négociation avec les ambassadeurs alliés, la plus grande agitation régnait dans la capitale. L’empereur se préparait à la guerre ; mais, trop clément pour la désirer, il était trop orgueilleux et trop aveuglé pour la craindre. San-ko-lin-sin avait l’ordre de couvrir Tong-chaou, mais l’ennemi était encore assez loin, et l’on ne supposait pas qu’il eût l’intention de s’avancer jusque-là. Nous croyons sincèrement qu’à cette date le gouvernement chinois ne préméditait ni trahison ni guet-apens. Il était encore disposé à négocier, et même à faire des concessions importantes ; seulement il ne voulait pas payer l’indemnité, ni admettre à Pékin l’escorte de deux mille hommes, ni enfin consentir à ce que les ambassadeurs fussent reçus en audience par l’empereur. L’indemnité, il n’avait pas le moyen de la payer. L’escorte de deux mille soldats armés l’effrayait pour la tranquillité de la ville ; quant à l’audience et à l’échange de lettres entre l’empereur de Chine et les souverains européens, c’étaient, au point de vue des idées chi-

  1. Voici ce que nous lisons dans les Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, du père Lecomte, 1696 : « Il est permis à chaque mandarin d’avertir l’empereur de ses défauts, pourvu que ce soit avec les précautions que demande le profond respect qu’on lui porte. Voici comment cela se pratique. Le mandarin qui trouve quelque chose à redire à sa conduite par rapport au gouvernement dresse une requête dans laquelle, après avoir témoigné la vénération qu’il a pour la majesté impériale, il prie très humblement le prince de faire réflexion aux anciennes coutumes et aux exemples des saints rois qui l’ont précédé ; ensuite il marque en quoi il parait s’en éloigner… » Voilà bien le moyen qu’avait employé le censeur Tsao-yang, dont nous avons reproduit plus haut les vives remontrances.