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position de San-ko-lin-sin, qui, nous l’avons vu, concluait au départ de la cour pour Jehol, et l’intention exprimée par l’empereur.

Il serait permis de s’étonner que, dans de telles conjonctures, un général ait pu conseiller à un empereur de quitter sa capitale et de partir pour la chasse, et que l’empereur de Chine ait cru devoir soumettre un pareil avis à une délibération solennelle. Aussi convient-il de rappeler que, selon les idées chinoises, l’empereur est placé dans une sphère trop élevée pour qu’aucun soupçon de lâcheté puisse jamais l’atteindre. Il doit recevoir l’hommage universel en répandant partout ses bienfaits ; il est père et mère du genre humain, presque dieu. Le glaive meurtrier ne sied pas à ses mains augustes. Ce n’est donc pas lui manquer de respect que de l’éloigner du champ de bataille. Quant aux chasses de Jehol, où San-ko-lin-sin voulait envoyer son souverain, il ne faut point les considérer seulement comme une distraction royale. S’il en était ainsi, le conseil du général eût été plus que ridicule. Les chasses de l’empereur en Tartarie remontent à la plus haute antiquité ; elles représentent une tradition, presque une institution. Aux temps anciens, les bêtes féroces pullulaient dans les forêts du centre de l’Asie au point de détruire les récoltes des plaines environnantes et de compromettre la vie des populations : c’était donc un devoir pour les souverains de leur faire la guerre. De là ces grandes chasses entreprises périodiquement et avec un immense appareil. La tradition, consacrée par les lois, chantée par les poètes, s’est perpétuée sous les différentes dynasties.

Les dignitaires examinèrent les propositions qui leur étaient soumises et firent connaître leur avis dans des mémoires adressés directement à l’empereur du 9 au 12 septembre. Rien de plus curieux ni de plus instructif que la lecture de ces pièces vraiment chinoises. Voici le mandarin Kia-tchin qui dissuade l’empereur de se mettre à la tête de ses troupes. « Bien qu’il soit infiniment probable, dit-il, que les barbares se prosterneront et feront leur soumission dès que l’empereur apparaîtra, nous ne croyons pas cependant que ce soit la meilleure marche à suivre : nous pensons au contraire qu’il est impossible d’en faire l’expérience à la légère. » Kia-tchin n’approuve pas davantage le projet de voyage à Jehol ; le pays n’est pas bien sûr ; l’empereur sera mieux gardé à Pékin ; son départ de la capitale répandrait partout l’épouvante et la consternation. D’autres dignitaires se prononcent plus vivement encore contre le voyage de Jehol, dont, à ce qu’il paraît, les préparatifs sont déjà commencés. « La résidence impériale de Pékin est solidement gardée, et, dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, c’est la place la plus honorable pour votre majesté, et la seule convenable, ajouterons-nous, pour le souverain… » Ces mêmes man-