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nécessaire pour se prononcer. La nouvelle qui circulait à Tien-tsin semblait donc plus qu’improbable ; elle était exacte cependant. Dans les conférences du 7 septembre, les secrétaires des ambassades française et anglaise reçurent des interprètes chinois l’aveu tardif et naïf que Kouei-liang possédait bien le sceau impérial, comme il l’avait écrit, mais qu’il n’avait pas les pleins pouvoirs. On alla sans retard trouver Kouei-liang que l’on eut beaucoup de peine à faire sortir de ses appartemens, où il se disait retenu par un grand malaise. Interpellé sur l’incident, il répondit d’une voix dolente qu’en effet ses actes ne devaient être définitifs qu’après la ratification de son gouvernement. Il ajouta qu’il ne doutait point de cette ratification, mais que, pour lever toute incertitude à cet égard, il écrirait le jour même à Pékin, d’où on lui expédierait les pleins pouvoirs nécessaires.

Les conférences furent immédiatement rompues. Le baron Gros et lord Elgin signifièrent à Kouei-liang que, devant un tel procédé, ils se considéraient comme dégagés, qu’ils se réservaient de modifier leurs conditions en les aggravant, que les troupes alliées se remettraient en marche vers Pékin, et que les négociations ne seraient reprises, s’il y avait lieu, qu’à Tong-chaou (ville située à 18 kilomètres de la capitale) avec des commissaires impériaux munis des pouvoirs les plus étendus. Vainement, par deux lettres suppliantes, écrites coup sur coup dans cette même journée du 7 septembre, Kouei-liang et ses collègues conjurèrent-ils les ambassadeurs de ne point abuser d’une semblable méprise, de patienter un peu, d’attendre encore, — trois jours seulement, — de ne point partir avec une armée qui allait effrayer la population inoffensive, de leur accorder au moins quelques momens d’audience, — tout cela exprimé dans le style patelin, innocent, obséquieux, dont les diplomates chinois ont le secret et le génie. Lord Elgin et le baron Gros demeurèrent inflexibles. Tout était prêt pour le mouvement des troupes. Du 9 au 11 septembre, cinq mille hommes se dirigèrent vers le nord sous la conduite des généraux en chef ; le reste de l’armée fut laissé à Tien-tsin comme garnison et comme réserve.


II

L’ambassade française quitta Tien-tsin le 11 septembre ; elle partait en guerre, et elle avait la place d’honneur. Immédiatement après les deux spahis qui, la carabine au poing, ouvraient la marche, venait le palanquin du baron Gros, porté sur les épaules de trente robustes coulies ; puis s’avançait le général Montauban avec son état-major. Les troupes suivaient, joyeuses de fouler le sol chinois