Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chiffre, cette petite difficulté n’était point de nature à inspirer la moindre inquiétude sur l’ensemble des négociations.

La confiance était donc entière. Certes les ambassadeurs pouvaient et devaient croire qu’ils tenaient enfin la paix, et qu’ils n’avaient plus à s’occuper que des préparatifs de leur voyage à Pékin. Quel fardeau de moins pour leur responsabilité ! Quant aux troupes, qui perdaient ainsi l’espoir d’entrer, enseignes déployées, dans la cité impériale prise d’assaut, elles regrettaient amèrement leur rêve ; elles maudissaient la diplomatie qui les arrêtait court au plus beau moment de la campagne, elles s’indignaient contre ces Tartares qui lâchaient pied au premier feu. Au lieu de combattre, elles allaient donc en être réduites à fournir des escortes d’apparat et à faire la haie ! C’était un véritable désenchantement. Dans l’opinion des soldats, les rebelles chinois étaient d’autres gens que les Tartares de San-ko-lin-sin : ceux-là du moins se battaient. On venait d’apprendre qu’ils avaient tenté, dans le milieu d’août, une nouvelle attaque contre Shang-haï, qu’ils n’avaient pas craint d’affronter les canons du détachement chargé de la défense du quartier européen, et que, malgré leur échec, ils continuaient à menacer la ville. À cette nouvelle, les commandans en chef n’avaient pas hésité à envoyer à Shang-haï un renfort de quelques centaines d’hommes tirés du corps expéditionnaire. Ainsi, pour la seconde fois depuis la déclaration de guerre, les troupes européennes protégeaient l’autorité de l’empereur de Chine et combattaient à son service. Il était permis aux soldats de ne rien comprendre à cette politique singulière qui les faisait, tour à tour ennemis et alliés des mandarins, et qui déroutait leurs idées en même temps qu’elle contrariait leurs vœux les plus légitimes. Venir si près de Pékin et n’y pas entrer, quelle déception ! Avoir subi cinq mois de mer pour tirer quelques coups de fusil à l’embouchure du Peï-ho contre les Tartares, à Shang-haï contre des insurgés, c’était une campagne manquée !


Les diplomates chinois épargnèrent à l’armée ce brusque dénoûment. On se disait tout bas, dans les régions politiques de Tien-tsin, que Kouei-liang n’avait point reçu les pleins pouvoirs pour traiter définitivement, et que ses actes demeuraient soumis à la ratification de l’empereur. En présence des assertions si formelles contenues dans les dépêches du commissaire impérial, comment admettre un pareil bruit ? A supposer même que, lors de sa première lettre (25 août), Kouei-liang n’eût pas été muni des pleins pouvoirs, il devait au moins, lorsqu’il acceptait sans réserve, le 3 septembre, les conditions posées par les deux ambassadeurs, être assuré de l’adhésion de la cour de Pékin, à laquelle le baron Gros avait notifié directement copie de son ultimatum, et qui, avait eu le temps