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ker[1] sentiront ensemble, et ils sentiront juste. C’est précisément avec cette homogénéité d’opinion que les nouveaux ministres hongrois doivent compter. Elle a énergiquement contribué à amener la chute de M. de Schmerling par son impatience de voir satisfaire les Hongrois ; mais il faut craindre de la réveiller contre soi. Elle a voulu la justice pour la Hongrie ; peut-être s’effraierait-elle de ce qui ressemblerait à de la faveur, et à tout abus de puissance elle se montrerait à coup sûr hostile.

La voix publique attribue une influence décisive, dans la dernière crise politique, au comte Maurice Esterhazy, ministre de Hongrie et ministre sans portefeuille, et la voix publique n’a point tort. A certains égards, le comte Esterhazy convient mieux que personne à l’œuvre compliquée dont il s’agit, car de ce qui appartient à l’intelligence rien ne lui a été refusé. Dégagé de tout esprit d’exagération à l’endroit des prétentions nationales de ses compatriotes, il a tant vécu à l’étranger en se mêlant aux hommes distingués des autres pays, qu’il comprend à merveille les sacrifices par lesquels il faut acheter l’attention et la considération de l’Europe. De ce côté, il n’y a point à craindre : le comte Esterhazy est un véritable Européen avec une nuance française prononcée, — quelque chose comme un Français de l’école de M. de Talleyrand : fin, vif, moqueur, persuadé que la diplomatie sert encore à quelque chose, et pensant que savoir mépriser les hommes dénote de la supériorité d’esprit. Peut-être le comte Maurice Esterhazy a-t-il trop de respect pour la simple capacité, pour ce qu’on est convenu de nommer en politique l’habileté, vieux préjugé dont à cette heure on revient. A tout prendre, le comte Esterhazy est une force, et on voudrait presque le savoir ambitieux, car l’ambition, la grande, la vraie, est coutumière de la victoire et souveraine dans la découverte de ces moyens qui passent le talent, de ces « raisons du cœur que la raison ne connaît pas. »

Quant au comte Mensdorff, un seul mot suffira pour le caractériser : tout le monde a confiance en lui, et ses ennemis, s’il en a, l’entourent d’un grand respect. La meilleure garantie de la politique de modération, sans laquelle rien ne pourra réussir, se trouve dans le fait que le comte Mensdorff a été chargé de former le nouveau ministère, car le comte Mensdorff, appelé à présider ce cabinet dont la réconciliation avec la Hongrie fait la base actuelle, le comte Mensdorff est par excellence un Allemand, un Allemand des

  1. Commentateur public de tout événement politique ou social, le cocher de fiacre joue à Vienne un rôle analogue à celui du gamin de Paris. Le malheur veut que son esprit (et il en a beaucoup, et du plus aiguisé) s’exerce en un dialecte local parfaitement inintelligible pour quiconque est né, je ne dirai pas en dehors de l’Autriche, mais en dehors des faubourgs de Vienne.