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pour le bien de tous et pour le grand et général développement de toutes les forces et de tous les intérêts du pays collectif, de la monarchie, ce sera plus qu’une honte pour les Hongrois, ce sera la ruine morale de la Hongrie.

A dater d’aujourd’hui, la Hongrie doit compte de ses actions à l’Europe, et ses souffrances passées, il ne lui servira plus de rien de les invoquer. Elle en a fini avec la sympathie que ses plaintes inspiraient ; elle est puissante, on va la juger à ses œuvres. Pour cette première phase de sa vie politique, sa direction est confiée à deux hommes éminemment propres à gouverner un pays : — je ne dis pas leur pays, je dis à dessein un pays. George Maïlath et Paul Sennyeï sont des hommes d’état européens en même temps que les hommes d’un état. Sur le chapitre des difficultés, ni le chancelier ni le tavernicus (ministre de l’intérieur) ne se doivent faire d’illusions. Elles sont grandes et complexes : il y en a du côté des autres peuples de la monarchie, du côté de l’Allemagne, du côté de la Hongrie et de ses partis politiques. Envisageons-les du côté des autres nationalités soumises à la maison de Habsbourg, et prenons les deux plus considérables : la Bohême et la Pologne.

Alliée incertaine, prompte à promettre pendant la lutte, perfide après le succès, socialement, historiquement, moralement séparée de la Hongrie plus encore que ne l’est l’Autriche, la Bohême serait la première à prendre en main la cause de l’empire centralisé, s’il était un jour question de rendre Vienne et Pesth vraiment égales. Un seul pas de trop du côté des Hongrois, et Prague deviendrait aussi incommode que l’a été Pesth. Si le comte Belcredi prend la place de M. de Schmerling aujourd’hui, c’est comme Autrichien, non comme Bohême. Il devient un ministre de l’empire ; mais la possibilité pour lui de l’être dépend de la Hongrie, car, au premier empiétement de ce côté, le comte Belcredi n’a plus de choix ; il redevient et il reste Bohême, ou sa présence n’a plus de signification. Le rôle que pouvait jouer M. de Schmerling, — un rôle modérateur, simplement, exclusivement impérialiste, — ce rôle, il n’est pas donné à tout le monde de le prendre, car il exige certaines conditions incompatibles avec une nationalité prédominante.

Maintenant, pour ce qui regarde la Pologne, le gouvernement est encore plus tenu d’être circonspect, car la Pologne, avec beaucoup moins de droits spéciaux à réclamer vis-à-vis de l’Autriche, s’est beaucoup plus que la Hongrie mêlée aux affaires de l’Europe. Elle a tant marqué dans la grande politique du monde que pour elle accepter un dualisme souverain, tel que les esprits prompts à s’alarmer le redoutent, serait une dernière déchéance, et équivaudrait presque à un nouveau partage. La Galicie, qui demeure tou-