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position ou d’appui qu’ait pu apporter à l’œuvre tel ou tel ministre, Je crois avoir montré à quoi se rapportait la question du « pourquoi pas plus tôt ? » mais je n’ai point eu la présomption de la vouloir trancher. Il restera toujours des esprits énergiques et de nobles cœurs impatiens qui maintiendront que la rencontre entre le roi et son peuple pouvait se faire plus tôt ; l’essentiel, c’est que nul ne pourra prétendre qu’elle se soit faite trop tard. Qui a vu sortir le souverain de la salle du trône à Bude doit être en repos de ce côté-là.

J’admets que jusqu’à un certain point toute visite princière et toute cérémonie officielle se ressemblent dans presque tous les pays du monde ; aussi l’arrivée du roi à Pesth ne se distinguait-elle guère de toute occurrence de ce genre, si ce n’est que dès le début, dès la matinée du 6 juin, toute apparence d’autorité avait disparu. Pas un soldat nulle part, pas un policeman. François-Joseph a pu descendre de voiture et se retrouver au milieu d’un peuple qui n’avait plus coutume de le recevoir comme si sa venue rentrait dans les habitudes journalières. Cette première réception était ce qu’elle devait être : hospitalière, pas enthousiaste. Venir n’était pas tout, on voulait savoir de la part du roi lui-même pourquoi il était venu. La réponse ne se fit point attendre. A peine dix heures sonnaient que la grande salle du château de Bude ouvrait ses portes au souverain et qu’il se trouvait face à face avec tout ce que le pays compte d’hommes marquans ou de noms illustres. D’un côté se tenaient les grands dignitaires de la couronne, de l’autre le primat, cardinal Scitowsky, archevêque de Gran ; vis-à-vis, autour, partout, des noms familiers à quiconque sait l’histoire : Esterhazy, Széchenyi, Apponyi, Waldstein, Festetics, Palffy, Batthyanyi, que sais-je ? tous y étaient sans ordre factice, non parqués par l’étiquette, mais pêle-mêle dans une même importance, une formidable foule d’égaux[1]. On voit qu’ici l’homme comptait au moins autant de par Dieu que de par le grand-maréchal de la cour ! Bien que tout le monde fût en grand costume, le noir prédominait, car personne n’était en costume de gala. Le roi seul portait l’uniforme de général hongrois, gris clair à brandebourgs d’or.

Il y a quatre ans de cela, en 1861, le 6 avril, à cette même heure, cette même assemblée (ou à peu près) remplissait la grande salle du château. Sur un trône vis-à-vis des grandes fenêtres se 1 tenait

  1. Ce n’est pourtant pas sans peine que l’on était arrivé à ce résultat, et l’incorrigible cérémonial avait fait de son mieux pour classer chacun à son poste. Le comte Palffy insistait pour que « les rangs » fussent maintenus et pour que les « excellences » et les « Geheime Räthe, jouissent de leurs privilèges ad majorent gloriam de tout ce qui est chambellan ; mais impossible. « Nous entrerons ensemble ! dirent les nobles Magyars tout d’une voix ; il n’y a pas en Hongrie de noblesse de cour. »