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ne croyait pas jamais devoir se soumettre ? L’avenir répondra. Je pense, je l’ai dit, qu’en février 1861 on s’est beaucoup pressé à Vienne. Il est évident qu’on refusait absolument de comprendre ce qui se passait chez les Hongrois. Or que faisait vraiment la Hongrie depuis octobre 1860 jusqu’en février 1861 ? Elle employait sa liberté nouvelle à jouir de son quart d’heure de vengeance. Il aurait peut-être été sage de la laisser faire, car elle usait d’un droit. Le baron Bach disait au milieu de sa carrière ministérielle : « De la génération actuelle je ne puis rien faire ; mais de celle qui suivra on fera tout ce qu’on voudra. » Eh bien ! qu’arriva-t-il en effet ? Après dix ans d’un régime intolérable dont l’oppression était plus stupide que dure et dont on a pu dire avec justesse que c’était une « taquinerie solennelle, » la nation hongroise s’est retrouvée non moins haineuse qu’auparavant, mais infiniment moins politique. Cette haine couvait depuis dix ans ; quand elle a fait explosion, elle a manqué de dignité. La façon dont on a rejeté le diplôme d’octobre ressemblait fort aux façons avec lesquelles on avait régenté le pays jusque-là. C’était puéril, violent, impolitique, cela faisait du pays tout entier un vaste troupeau d’écoliers mal élevés ; mais c’était exactement ce à quoi l’on devait s’attendre, et c’était en somme moins qu’on n’avait mérité. Voilà pourquoi il eût peut-être été plus sage d’attendre et de laisser passer une effervescence si bien provoquée. C’est une des prétentions de l’Autriche de vouloir toujours échapper aux conséquences de ses fautes. Elle se vouait à une œuvre de compression depuis nombre d’années, et voulait que, le poids de cette lourde main écarté, la réaction ne se fît pas sentir. Elle se montra impatiente, parce qu’elle niait à ceux qu’elle avait offensés le droit de se montrer vindicatifs. Les Hongrois regardaient la patience de l’Autriche vis-à-vis d’eux comme une dette. Elle ne l’a pas payée faute de l’avoir reconnue ; donc le malentendu se prolongea entre l’empire et le royaume, et, la diète fermée, on se bouda comme par le passé. M. de Schmerling dit à Vienne que « l’on pouvait attendre, » et pendant deux années rien ne prouva qu’il ait eu tort.

Constatons bien ce fait que, la diète de 1861 fermée, on ne discuta plus. Comment eût-on discuté ? en quel lieu ? par quels organes ? On se nia réciproquement, chacun déclarant pouvoir se passer de l’autre. Toute espèce de terrain manquait pour un rapprochement, et d’ailleurs on n’en sentait nulle part le désir. En pareille occurrence, le mot de M. de Schmerling, que lui ont si durement reproché les Hongrois, m’a toujours paru parfaitement explicable, car pouvoir attendre constituait de la part de l’Autriche une force, et il n’est permis à aucun ministre de négliger l’occasion de montrer que son pays est fort. Il importe de ne point perdre de vue la position où se trouvaient l’empire et le royaume vis-à-vis l’un de l’au-