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l’intelligence, et elle senti peut-être sans le savoir, que si les affaires sont du domaine de la capacité, la grande politique ne se fait qu’avec le cœur. Heureusement pour elle et pour la haute mission que Dieu lui avait confiée, Marie-Thérèse ne voulût jamais être autre chose qu’elle-même. Soy quien soy, eût-elle pu dire à tout instant, et elle doit à cela de vivre encore pour ses peuples. Jamais aucune malsaine vanité ne lui faussa le jugement, jamais aucune des perversités par lesquelles notre siècle prétend nous expliquer le génie ne la détourna de sa route. Elle était naturellement grande ; elle était héroïque, mais elle était femme, femme et héroïque comme l’étaient ces illustres Françaises du XVIe siècle qu’un des plus grands maîtres de la langue française nous a ici même appris à connaître. Aimante et dévouée, fière comme le sont les âmes pures et passionnément honnêtes, Marie-Thérèse n’eût pu comprendrez qu’on cherchât sa gloire en sortant des limites où la Providence vous place. Ce fut un des esprits les plus sains dont on puisse se faire une idée, et le bon et l’honnête dominent tellement chez elle, que, bien qu’elle ne comprît rien du tout au « libéralisme » qui naissait si bruyamment autour d’elle, elle ne se trouva jamais un moment en désaccord avec l’opinion publique. Douée de toutes les qualités qui manquaient à son pays, Marie-Thérèse complétait pour ainsi dire l’Autriche par sa vivacité, par sa constante grandeur d’âme et par cette naïve foi en elle-même qui toujours lui inspirait de si généreux élans. Je conseille surtout aux Autrichiens d’aujourd’hui d’étudier à fond les raisons du triomphe de Marie-Thérèse à Presbourg. Il ne s’agit pas seulement du succès d’une démarche courageuse, — les démarches vraiment courageuses réussissent toujours, — il s’agit d’une croyance intime, qu’ont seules les grandes âmes, à l’invincible puissance de ce qui est élevé et généreux. Quand la reine résolut de faire appel aux Hongrois presque insurgés, ce n’est point en elle seule qu’elle eut confiance ; elle osa croire à ses adversaires et leur faire honneur d’avance de sentimens généreux que nul autre ne leur supposait. Ce fut aussi ce qui subjugua ses auditeurs, qui comprirent la marque de respect que la confiance royale leur donnait.


II

Je n’ai pas craint d’insister sur ces scènes de 1741. Avant d’en venir au voyage royal de 1865, il était bon de rappeler quels sentimens, quelles traditions s’unissent aux intérêts politiques pour rapprocher aujourd’hui encore l’Autriche et la Hongrie. — Pourquoi l’empereur François-Joseph est-il allé à Pesth ? S’est-il décidé lui-même à ce voyage, ou l’y a-t-on décidé ? — Qui approuve cette